Ensemble Scolaire Edmond Michelet à Brive

TQ7 Comment l’action collective s’est-elle transformée dans les sociétés démocratiques ? 

Comment l’action collective s’est-elle transformée dans les sociétés démocratiques ? 

DOCUMENT 1 

La syndicalisation des salariés en France depuis 1949 

(en % de l’ensemble des salariés)

DOCUMENT 2 

Depuis plus de trois ans, Black Lives Matter1 s’est constitué comme un vaste mouvement social cherchant à révéler et à démanteler ce que ses militants considèrent être la violence institutionnelle dirigée contre les minorités raciales aux États-Unis. L’acquittement contesté en juillet 2013 du vigile George Zimmerman dans la mort du jeune Africain-Américain2 Trayvon Martin fut à l’origine de la formule #BlackLivesMatter, d’abord lancée sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Bien qu’il ne se limite pas à la question de la « brutalité policière », le mouvement s’est développé et structuré à mesure que grandissait l’indignation provoquée par la révélation de la mort de centaines d’Africains-Américains sans armes tués par la police. […] Le scandale causé par le verdict [d’acquittement de George Zimmerman] et les insinuations posthumes faisant de Martin le responsable de sa propre mort furent si intenses que Barack Obama dut se résoudre à prendre publiquement la parole, affirmant que Martin aurait pu être son fils, ou bien lui-même. Cette condamnation indirecte du verdict ne permit pas d’apaiser celles et ceux qui considéraient que Martin avait été « exécuté » à cause de la suspicion causée par la présence de son corps noir habillé d’un sweat à capuche (hoodie) dans une résidence surveillée. […] À la suite du verdict, de nombreuses organisations de défense des droits civiques furent créées ou mobilisées afin de dénoncer la criminalisation des jeunes Africains Américains. […] Quant au cri de ralliement « Black Lives Matter», il fut lancé sur internet par trois militantes associatives, Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, affirmant : « Our Lives Matter, Black Lives Matter ». Le mouvement gagna en importance à la suite d’autres morts d’Africains-Américains causées par la police

Source : Audrey CELESTINE, Nicolas MARTIN-BRETEAU, « Un mouvement, pas un moment » : Black Lives Matter et la reconfiguration des luttes minoritaires à l’ère Obama, Politique américaine, 2016. 

1 : Black Lives Matter : « les vies des noirs comptent », mouvement politique, né en 2013 auxÉtats-Unis au sein de la communauté africaine-américaine, qui milite contre le racisme enversles noirs. 

2 : Africain-Américain : catégorie du bureau de recensement des États-Unis désignant les Américains d’ascendance africaine.

DOCUMENT 3 

Moyens d’expression jugés les plus efficaces par les citoyens 

Selon vous, qu’est-ce qui permet aux citoyens d’exercer le plus d’influence sur les décisions prises en France ? (en %). 

Plusieurs réponses possibles. 

En %  2010  2012  2014  2015  2016  2017  2018
Voter aux élections  67  65  61  58  60  61  55
Manifester dans la rue  23  32  30  31  26  26  42
Boycotter des 

entreprises ou des 

produits

35  38  29  41  39  43  37
Faire grève  20  21  22  20  19  21  27
Militer dans un parti politique  11  8
Discuter sur internet, sur un blog ou un forum  5

Source : CEVIPOF, Baromètre de la confiance politique, janvier 2019.

DOCUMENT 4 

 

Eléments de correction :

Les agriculteurs français revendiquent une baisse des taxes agricoles et se sont réunis dans un mouvement national d’action collective qui a émergé le 18 janvier 2024. L’action collective est une forme d’engagement politique qui peut impliquer diverses modalités : pétitions, grèves, manifestations, etc…. Elle évolue en fonction des revendications et des différents acteurs de la société démocratique. Quelles sont les caractéristiques des transformations de l’action collective dans les sociétés démocratiques ? Dans un premier temps, nous verrons que les sociétés démocratiques voient les enjeux et les objets de l’action collective se transformer. Dans un second temps, nous analyserons l’évolution des acteurs politiques et des répertoires d’action collective.

La transformation des enjeux de l’action collective (I) se caractérise par le déclin de l’action  syndicale (A) et par l’apparition des nouveaux mouvements sociaux (B). 

La baisse du taux de syndicalisation s’explique entre autres par la tertiarisation croissante de  l’emploi qui va de paire avec la baisse numérique de l’emploi ouvrier. En effet, ce sont des secteurs  d’activités historiquement très syndicalisés qui disparaissent (sidérurgie, métallurgie, construction  navale). En parallèle, avec le développement du secteur tertiaire, de nombreux travailleurs se  trouvent désormais engagés dans des professions où la syndicalisation est moins courante ou  moins viable. De plus, les changements dans la nature du travail, telle que la montée du travail  indépendant, ont rendu la syndicalisation moins attrayante ou même moins pertinente pour de  nombreux travailleurs. Selon une étude publiée en 2021 par la Direction de l’Animation de la  Recherche, des Études et des Statistiques (DARES), en 1949, 30% des salariés en France  Métropolitaine adhéraient à un syndicat contre 20% en 1975. Une diminution de 10 points de  pourcentage est donc observable durant cette période des 30 glorieuses (1945-1975) en France  Métropolitaine (cf. document 1). 

L’augmentation de l’emploi précaire et du chômage contribuent également à expliquer le  déclin de la syndicalisation. Le taux de syndicalisation est le rapport entre le nombre d’actifs  membres d’un syndicat et le nombre total d’actifs. L’emploi précaire et le chômage représentent  deux situations d’avenir incertain, sans stabilité professionnelle. L’augmentation de l’emploi précaire  et du chômage empêche les individus de se retrouver en situation stable, dans laquelle ils leur  seraient bénéfiques de se syndicaliser sur le long terme. Le fait de se projeter dans son travail vers  l’avenir est alors difficile et l’idée de s’engager dans un syndicat est écartée. Selon les données  publiées en 2021 par la DARES, en France, en 1975, 20% des actifs sont syndiqués contre 10% en  1990 ; soit une division par deux du taux de syndicalisation en l’espace de 15 ans compte-tenu de  la crise des années 1970/80 qui a accéléré la précarisation de l’emploi (cf. document 1). 

Les objets de l’action collective se sont transformés avec l’apparition des Nouveaux  Mouvements Sociaux (NMS). En effet, depuis le XIXeme siècle, l’organisation des conflits du travail  et donc les revendications matérialistes ont été possibles et essentiellement décisives en lien avec  l’action des syndicats. Cependant, depuis les années 1960 et 1970, on remarque que les NMS ont  émergé dans nos sociétés. Pour Alain Touraine, les NMS caractérisent les sociétés post 

industrielles où les conflits sociaux portent sur des enjeux post-matérialistes : cadre de vie, respect  des différences. Le passage des sociétés matérialistes aux sociétés post-matérialistes a été identifié  par Ronald Inglehart (La révolution silencieuse, 1977). Selon une étude faite par l’INJEP-CRÉDOC  sur les principales causes de l’engagement des jeunes, en 2021 16% des jeunes âgés de 18 à 30  ans donnent bénévolement de leur temps pour la cause de l’environnement tandis que seulement  8 % donnent bénévolement de leur temps pour des motifs liés à l’insertion, l’emploi et la formation  (cf. document 4).

Dans La démocratie protestataire publiée en 2011, Lilian Mathieu nuance la thèse d’Alain  Touraine. Les valeurs post-matérialistes et matérialistes peuvent dans certains cas se rejoindre et  se compléter : la distinction entre anciens mouvements sociaux (orientés vers des considérations  matérielles) et nouveaux mouvements sociaux (NMS) (orientés vers des considérations  immatérielles) est remise en cause. En effet, une revendication salariale peut signifier parallèlement  une amélioration des conditions de vie et s’articuler à une réflexion altermondialiste. Par ailleurs, la  grève, moyen d’action propre au monde du travail, porte spécifiquement sur des revendications  matérialistes (salaires, conditions de travail) et coexiste actuellement avec les mouvements sociaux  orientés vers des valeurs post-matérialistes. Le conflit du travail est donc toujours présent et  valorisé. Selon les données publiées par le CEVIPOF dans le Baromètre de la confiance politique  en janvier 2019, en 2018, plus d’un quart des sondés (27%) considère que faire grève permet aux  citoyens d’exercer de l’influence sur les décisions politiques, contre 20% en 2010 (cf. document 3). 

Finalement, avec l’augmentation de l’emploi précaire, du chômage et la tertiarisation de  l’emploi, le taux de syndicalisation décroît dans les sociétés démocratiques (A) laissant place à  l’apparition de nouveaux mouvements sociaux (B), transformant ainsi les enjeux de l’action  collective (I). 

*** 

La transformation des acteurs politiques (II) passe par l’évolution des acteurs traditionnels de  l’engagement politique (A), par l’évolution du militantisme politique (B) et enfin par l’évolution des  répertoires d’action collective (C). 

Le rôle des partis politiques dans le militantisme est en déclin. Les partis politiques se  définissent comme des groupes de personnes possédant des idées politiques communes réunis en  associations. On constate aujourd’hui que les partis politiques attirent beaucoup moins de membres  qu’au début du XXe siècle. Leur rôle reste important lors des élections puisqu’ils permettent aux  candidats de recueillir des dons et à la population de se repérer dans l’échiquier politique. Selon  une étude publiée en 2019 par CEVIPOF, en 2010, 11% des citoyens considèrent que militer dans  un parti permet d’exercer le plus d’influence sur les décisions prises en France contre 8% en 2018  ; soit une baisse de 3 points de pourcentage. 

Malgré un déclin de la présence des partis au sein de la société, les mouvements quant à  eux semblent être en pleine croissance. En effet, sans être membre d’un parti, il est toujours  possible de participer à des rassemblements organisés par des collectifs sans forme  institutionnalisée. Ainsi, il est possible d’exprimer son avis sans “s’affilier”, c’est-à-dire sans  s’identifier ni adhérer aux idéologies d’un groupe. Le mouvement des gilets jaunes est un exemple  de collectif spontané, né de l’appel à manifester contre l’augmentation du prix des carburants  automobiles issue de la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits  énergétiques. Dès sa formation, ce mouvement frappe par la diversité des idées politiques et des  participants. Même s’ils n’ont pas d’opinions politiques qui se rejoignent, ils se mobilisent contre une  cause commune et selon une forme commune : la manifestation et l’occupation de points  stratégiques (ronds-points). Ce type de mobilisation -spontanée, non institutionnalisée- se répand  aujourd’hui en France (mouvement des agriculteurs) et est considérée comme valable et efficace  par l’opinion française. D’après une étude du CEVIPOF de janvier 2019, en 2010, 23% des Français  pensent que manifester dans la rue permet aux citoyens d’exercer le plus d’influence sur les  décisions prises en France, une vision qui se démocratise au fil du temps car en 2018, selon cette  même étude, presque deux fois plus de personnes pensent que la manifestation est le moyen le  plus efficace pour avoir un poids en tant que citoyen dans la prise de décision française (cf.  document 3). 

Jacques Ion évoque le passage d’un militantisme affilié à un militantisme affranchi en  soulignant que les nouveaux militants sont souvent plus autonomes et moins attachés aux  structures organisationnelles traditionnelles. Ils sont plus enclins à s’engager dans des actions aux 

objectifs clairement définis et sont susceptibles de mettre fin à leur engagement s’ils estiment que  leurs attentes ne sont pas satisfaites. Ce changement reflète une évolution vers un militantisme plus  indépendant et détaché des affiliations traditionnelles. Il parle d’un « clivage temporel » et fait  référence à une division de la société en deux groupes distincts en fonction de leur rapport au temps  : ceux qui sont orientés vers le passé, attachés aux traditions et à la continuité, et ceux qui sont  orientés dans le temps présent. Axelle Brodiez nuance la thèse de Jacques Ion : elle met en  évidence une différenciation au sein du militantisme fondée sur un « clivage organisationnel ». Dans  le militantisme total, on retrouve des individus fortement engagés, souvent les cadres du parti ou de  l’organisation, dont l’activisme politique ou social est une composante essentielle de leur identité et  de leur mode de vie. En revanche, dans le militantisme distancié, on trouve des militants plus  occasionnels, dont l’engagement est moins intégré dans leur quotidien et qui peuvent être moins  investis dans les structures organisationnelles. Elle qualifie ce type d’engagement de « à la carte »,  soulignant ainsi la tendance croissante à une participation sélective et détachée. Selon les données  publiées par le CEVIPOF dans le Baromètre de la confiance politique en janvier 2019, en 2018,  seuls 8% des individus considèrent que militer dans un parti (engagement total) permet aux citoyens  d’exercer le plus d’influence sur les décisions prises en France. Inversement, presque un sondé sur  deux estime que manifester dans la rue est une forme d’engagement efficace (engagement  distancié) (cf. document 3). 

D’autre part, les répertoires d’action collective s’élargissent et se développent grâce à de  nouveaux outils qui accompagnent les nouvelles générations. Si les militants s’organisaient  précédemment de manière hiérarchique, ils favorisent dorénavant une organisation réticulaire. De  plus, les répertoires d’action prennent de l’ampleur et sont caractérisés par l’apparition d’une  dimension internationale. Avec l’arrivée massive d’Internet et des réseaux sociaux dans la société,  ces répertoires dynamiques offrent des solutions défiant les modèles traditionnels pour répondre  aux défis contemporains. Ces nouvelles plateformes numériques permettent une diffusion massive  et rapide des informations facilitant la communication et l’organisation. Grâce à Internet, de  nouveaux mouvements se créent et se développent. Selon Audrey Célestine et Nicolas Martin Breteau dans leur ouvrage Politique américaine paru en 2016, le mouvement social luttant contre  les violences des minorités raciales aux Etats-Unis aurait été lancé sur les réseaux sociaux  Facebook et X (anciennement Twitter) (cf. document 2). 

Les acteurs politiques traditionnels comme les partis politiques (A) et les militants (B) ont  perdu le monopole de la contestation au profit de nouveaux militants et collectifs qui émergent en  lien avec les nouveaux répertoires d’action collective (C). 

*** 

Pour conclure, la transformation de l’action collective passe par une évolution des enjeux et  des objets de l’action collective (I). En effet la tertiarisation de l’emploi se conjugue avec l’émergence  conséquente du chômage, ce qui implique un déclin de l’action syndicale (A). De même, l’apparition  des nouveaux mouvements sociaux mis en lumière par Alain Touraine et leurs revendications post 

matérialistes font état d’une transformation des enjeux de l’action collective (B). De plus, les acteurs  traditionnels de l’engagement politique évoluent (A), tout comme le militantisme (B) et les répertoires  des actions collectives (C), conduisant in fine à un renouvellement des acteurs politiques (II).