Rescapée des camps d’extermination nazis, Frania Eisenbach Haverland témoigne inlassablement pour que ce terrible pan de l’histoire ne soit jamais oublié…
Elle a survécu et elle doit à l’humanité de raconter ce qu’il s’est passé. C’est son devoir comme tous ceux qui ont assisté à un crime, affirme Frania Eisenbach Haverland. Le 28 novembre 2022, les élèves des alentours de Brive ont pu assister à un témoignage glaçant sur son histoire. Nous, les élèves de 3e du collège, étions présents à ce rendez-vous, fiers de recevoir sa parole.
Depuis plus de vingt-cinq ans, cette habitante de Margency témoigne inlassablement aux quatre coins de l’Hexagone de l’enfer de la Shoah pour que jamais ce terrible pan de l’histoire ne soit oublié.
« Je ne pourrai jamais tout dire »
Sa voix tremble fréquemment lorsqu’elle entame son récit. Le plus souvent devant des classes entières d’élèves très vite captivés et émus, elle raconte son parcours, de son enfance heureuse avec un père chef d’orchestre et une mère pianiste, jusqu’à l’invasion de la Pologne, son pays de naissance, par l’Allemagne en 1939. Puis bientôt les premières persécutions subies par sa famille parce qu’ils sont juifs, les arrestations, le ghetto, ses frères raflés… Frania a 13 ans quand elle se retrouve orpheline et que son atroce parcours de camp en camp, quatre au total, commence. Elle passe notamment plusieurs mois à Auschwitz avec Tusia sa « sœur de déportation ».
En 1945, quand le camp de Flossenburg en Allemagne où elle se trouve est enfin libéré, Frania a 19 ans. Elle est alors la seule survivante d’une famille de 60 personnes. Six ans d’une vie volée, meurtrie, qu’elle a en partie racontés fin 2007 dans son livre Tant que je vivrai.
« J’étais une migrante à Paris »
Après la guerre, la jeune femme choisit de rejoindre la France pour tenter de retrouver son père. « Je me disais que s’il avait survécu, il m’attendait à Paris. Il me disait toujours qu’il y dirigerait un jour un orchestre…», souligne-t-elle. Mais lui aussi a été emporté par la barbarie nazie, elle ne le reverra jamais. Frania, qui ne connaît alors personne en France et ne parle pas la langue, n’apprendra que bien plus tard l’histoire de Vichy et de la collaboration. Quelques années plus tard, cette grand-mère et arrière-mère rencontre Maurice, un ancien prisonnier de guerre, qui deviendra son mari. Un couple uni jusqu’à la mort de ce dernier en 2007.
Des années avant de témoigner
Si aujourd’hui cette « survivante » témoigne en public dès qu’elle y est invitée, il lui aura fallu attendre des années avant d’en être capable. Un passé lourd à porter, estime-t-elle. « On est tatoué, marqué. On est et sera toujours des déportés.» Mais aussi de trouver des oreilles prêtes à entendre son terrible récit. C’est en 1993 que des recherches menées avec la sortie du film la Liste de Schindler , se déroulant dans le camp de Płaszów (en Pologne) dans lequel elle est restée dix-huit mois, la décideront. « C’est de là que c’est parti », précise Frania
Protéger la jeunesse d’aujourd’hui
« J’ai la naïveté de penser que c’est mon devoir de témoigner pour tenter de protéger les jeunes d’aujourd’hui. À mes 13 ans, je ne savais pas que l’être humain pouvait être capable de telles horreurs et pourtant. Alors il faut le dire, il faut qu’ils sachent. Mais aussi crier haut et fort qu’il n’y a qu’une seule race, la race humaine », lance-t-elle.
Pourtant, Frania, les yeux souvent humides à force de réminiscences, ne le cache pas. Chaque intervention est douloureuse. Et puis pour cette femme de 96 ans, ses témoignages, mêmes difficiles, sont également des instants précieux, souligne notre chère Frania, qui croule sous les demandes d’intervention à l’heure où les dernières voix des témoins directs de la Shoah s’éteignent peu à peu.
Enfin et peut-être surtout, chaque intervention est aussi pour Frania un moyen de faire vivre quelques instants tous ses proches disparus.
En ce qui concerne la situation actuelle en Europe avec la guerre en Ukraine, Frania se déclare inquiète : « je ne pensais jamais revoir cette situation en Europe, les enfants ukrainiens seront marqués par ces souffrances pour toute leur vie. » C’est pourquoi, son message à la jeunesse est le suivant : « Vivez ensemble en bonne intelligence, aimez-vous. »
Arthur Nard. 3eA