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Un exercice
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Christophe Guilluy, géographe, est consultant auprès de collectivités locales et d’organismes publics.
Christophe Noyé, géographe est travailleur indépendant pour le compte de collectivités locales, notamment sur l’intercommunalité et l’habitat privé. Il est chargé de cours à l’université de Paris-XII- Créteil.
Le fait saillant de ces deux dernières décennies n’est pas tant la paupérisation de quelques cités que la concentration des couches supérieures dans l’ensemble des villes-centres des grandes métropoles, y compris dans les quartiers populaires. Particulièrement visible à Paris, le phénomène touche en réalité toutes les métropoles régionales. Ces centres prescripteurs, en concentrant les catégories les plus impliquées dans la sphère publique, influencent de fait le débat et les grandes politiques publiques.
La question de la place des couches populaires de la ville est aujourd’hui posée. La relégation dans les très grandes périphéries urbaines et rurales d’une part croissante de la population, fragilisée par l’insécurité sociale, est une question politique majeure. Ce déclassement et parfois cette précarisation des salariés modestes illustrent la fin de la moyennisation de la société fran&iccedil;aise et l’éclatement d’une mythique classe moyenne.
Conférence
C’est au tournant du XIXe siècle que l’expression « classe moyenne » commence à prendre son sens usuel. Avec la fin des sociétés d’ordre et le développement progressif de l’économie industrielle apparaissent des groupes sociaux qui n’appartiennent ni à la bourgeoisie ni au prolétariat. En Angleterre, la middle class, au singulier, désigne la nouvelle bourgeoisie industrielle et économique, en lutte avec la noblesse (nobility) et la haute société (gentry). En France, le pluriel « classes moyennes », proche de ce que Karl Marx qualifie de petite bourgeoisie, va désigner dans le discours politique ces nouvelles couches qui, dotées d’un minimum de capital, échappent à la vie au jour le jour qui est le lot du prolétaire, sans pour autant pouvoir se permettre l’oisiveté du bourgeois. Petits propriétaires terriens, petits commerçants, petits industriels, artisans et employés : toutes ces catégories ont en commun d’avoir dû construire leur position au lieu d’en hériter, en s’appuyant davantage sur leur éducation que sur leur modeste patrimoine. Les classes moyennes partagent aussi une ambition d’ascension sociale, qui peut s’appuyer sur les transformations en cours : diffusion de l’instruction, mise en place de filières méritocratiques, liberté de la presse, développement de la fonction publique territoriale et, au sein de l’armée, démocratisation du corps des sous-officiers et des officiers (1).
Vers 1930, une bascule s’opère : les classes moyennes indépendantes (paysans, commerçants, artisans…) déclinent au profit des classes moyennes salariées. Cadres, instituteurs, infirmières, travailleurs sociaux, ingénieurs… profitent du développement progressif de vastes bureaucraties, de la grande industrie et du secteur public, en particulier pendant les trente glorieuses. C’est l’époque où, aux États-Unis, le sociologue Charles Wright Mills, décrit le nouveau monde des « cols blancs » : « Bureaucrate salarié avec ses dossiers et sa règle à calcul, chefs de rayon, contremaîtres, policiers titulaires d’une licence en droit (…) qui peuplent un univers nouveau de gestion et de manipulation (2) » qui sont les figures de proue de la nouvelle société capitaliste américaine.
En France, ces « nouvelles classes moyennes salariées » (selon l’expression d’Alain Touraine en 1968) représentent 7 % de la population active avant la Première Guerre mondiale, 13 % au début des années 1930, 19,5 % en 1954 et 37 % en 1975.
(1) Christophe Charle, « Les “classes moyennes” en France. Discours pluriel et histoire singulière (1870-2000) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. L, n° 4, oct.-déc. 2003.
(2) Charles Wright Mills, Les Cols blancs. Essai sur la classe moyenne américaine, 1951, Maspero, 1966.
Précisons-le d’emblée : il n’existe pas de définition objective et consensuelle des classes moyennes, qui sont avant tout une expression fourre-tout. On peut néanmoins proposer plusieurs découpages selon différents critères qui ont chacun leur pertinence : le revenu, la profession et le sentiment d’appartenance.
• Partir des revenus implique, en toute logique, que font des parties des classes moyennes ceux qui sont proches du revenu… médian. En France, le salaire médian des salariés à temps complet du secteur privé était de 1 484 e nets en 2005 (1 990 pour les titulaires de la fonction publique d’État). L’Observatoire des inégalités propose ainsi de considérer comme classes moyennes les 40 % de salariés du milieu de la répartition (au-dessus des 30 % les moins bien payés et au-dessous des 30 % les mieux payés), soit ceux qui touchent un salaire net compris entre 1 200 et 1 900 e. Le sociologue Louis Chauvel propose, lui, un découpage plus large pesant 60 % salariés, au sein duquel il distingue classe moyenne inférieure, intermédiaire et supérieure, avec des salaires étalés entre 1 143 et 3 429 e (tableau p. 23). On peut aussi se fonder sur le critère de l’origine des revenus : seraient alors exclus des classes moyennes ceux dont les revenus proviennent à plus de 40 % des prestations sociales (les 10 % de Français les plus pauvres) et ceux dont les revenus proviennent essentiellement de leur patrimoine (les 10 % de Français les plus riches). Autre critère possible en haut de l’échelle sociale : exclure ceux qui peuvent acheter le travail des autres, sous forme de service à domicile par exemple (nounous, femmes de ménage…).
• L’approche par la profession se fonde sur les catégories socioprofessionnelles élaborées par l’Insee, qui classent l’ensemble des professions existantes. Font alors partie des classes moyennes, de plein droit en quelque sorte, les bien nommées professions intermédiaires : instituteurs et infirmières, secrétaires de direction et interprètes, techniciens, agents de maîtrise… Au-delà sont pris en compte une partie des employés et des cadres supérieurs (tableau). Là encore, des critères supplémentaires permettent de trancher les cas litigieux : secteur d’activité, type de contrat, niveau de qualification.
• Si l’on part du sentiment d’appartenance, alors font partie de la classe moyenne… ceux qui pensent qu’ils en font partie. Une enquête de 2002 (1) met en évidence des lignes de partage, mais aussi le flou de cette catégorie. Parmi les personnes ayant le sentiment d’appartenir à une classe sociale (55 % des personnes interrogées), les professions intermédiaires sont celles qui, assez logiquement, se rattachent le plus à la classe moyenne (59 %), en particulier les instituteurs (62 %) et, plus étonnant, les contremaîtres et agents de maîtrise (63 %). Les employés viennent ensuite avec 42 %, mais avec d’importantes variations entre les employés des administrations et des entreprises (48 %) et les personnels de service aux particuliers (33 %), qui se sentent plus proches des classes populaires (36 %). 29 % des ouvriers ayant le sentiment d’appartenir à une classe sociale se rangent parmi les classes moyennes (53 % parmi les classes populaires). Cadres et professions libérales sont partagés : 39 % se rattachent aux classes moyennes, 36 % à une catégorie bourgeoisie/cadres/classes dirigeantes. De fait, c’est sans doute au sein de ces groupes que les frontières des classes moyennes sont les plus discutées.
NOTES
(1) Claude Dargent, « Les classes moyennes ont-elles une conscience ? »,Informations sociales, n° 106, 2003.
Les classes moyennes sont-elles, de par leur position intermédiaire dans la structure sociale, vouées à singer les valeurs et manières de faire de la classe dominante ? C’est ce que laissait entendre Pierre Bourdieu dans La Distinction (1). Pour le sociologue, l’individu petit-bourgeois, hanté qu’il est par la perspective de son ascension (à la bourgeoisie), affiche des opinions et goûts conformistes. En matière culturelle, il porte ses choix sur des « formes mineures des pratiques et des biens culturels légitimes » : cinéma et jazz, photographie, monuments et châteaux en lieu et place des musées… Et il a la morale de sa trajectoire : il défend l’effort individuel, la discipline, la rigueur. Et si certaines fractions de la petite bourgeoisie « nouvelle » (journalistes, représentants de commerce, animateurs culturels, puéricultrices…) défendent une morale hédoniste (souci de soi, esthétisation de la vie, sexualité épanouie), le sociologue n’y voit là que l’écho, dans les classes moyennes, de la lutte que la nouvelle bourgeoisie (cadres du secteur privé, professions libérales) livre à la bourgeoisie ancienne (patrons d’affaires).
Le sociologue Étienne Schweisguth a critiqué cette vision, car selon lui le petit-bourgeois n’est pas aussi conformiste que le dit P. Bourdieu : il peut être critique des rapports de pouvoir, prompt à faire grève, et reconnaît l’importance des facteurs sociaux dans la réussite scolaire ou professionnelle. Pour Paul Bouffartigue, les classes moyennes ne se contentent pas d’imiter la bourgeoisie. Leur rôle a été moteur « dans le développement, au cours des années 1970, de nouveaux mouvements sociaux extraprofessionnels (autour d’enjeux urbains et locaux, de la qualité de la vie, de l’écologie, de la condition féminine, etc.) (2) », ainsi que dans le développement de la vie associative et la montée de la gauche socialiste. On note de ce point de vue que les classes moyennes restent la clientèle la plus fidèle de la gauche qui, si elle a assez largement perdu les ouvriers, a fait en 2002 ses meilleurs scores dans les professions intermédiaires. Les classes moyennes, et spécialement leur pôle intellectuel (professeurs, journalistes) et public (fonctionnaires, travailleurs sociaux), semblent également occuper un poids prépondérant au sein des mouvements contestataires, en particulier le mouvement altermondialiste.
NOTES
(1) Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, 1979, Minuit, 1996.
(2) Paul Bouffartigue, « Le brouillage des classes », in Jean-Pierre Durand et François-Xavier Merrien (dir.), Sortie de siècle. La France en mutation, Vigot, 1991.
En 1988, le sociologue Henri Mendras publie La Seconde Révolution française (1). Analysant les transformations de la société française entre 1965 et 1984, il met en évidence une transformation de la structure sociale. Avec la disparition de la société paysanne traditionnelle, l’« embourgeoisement » des ouvriers, qui représentent une part décroissante de la population active, et le gonflement d’une vaste classe moyenne, on ne peut plus selon lui représenter la société sous la forme classique d’une pyramide. D’autant que les inégalités de salaire tendent à se résorber, que l’emploi féminin progresse, que de nouveaux métiers apparaissent, que les situations familiales se diversifient… Autant de facteurs qui favorisent un certain « émiettement des classes ». Il propose un schéma en forme de toupie (ci-contre) dans lequel, hormis une petite élite (3 % de la population) et une frange d’« exclus » (7 %), la société française se regrouperait au sein d’un vaste centre. À côté d’une vaste « constellation populaire » rassemblant 50 % de la population, H. Mendras dessine une « constellation centrale » (25 %) en forte expansion, notamment les cadres. Caractérisée par une mobilité sociale intense, cette constellation serait un lieu d’innovations sociales qui se diffuseraient à l’ensemble d’une société aux frontières entre groupes moins rigides. Le sociologue prend l’exemple fameux du barbecue, forme conviviale et décontractée de repas entre amis, lancé par la constellation centrale et adopté par tous, même si les modalités de cette pratique varient.
Séduisante, cette perspective a néanmoins été remise en cause car les tendances sur lesquelles elles s’appuyaient se sont essoufflées. S’il existait bien une dynamique de réduction des écarts de salaire durant les trente glorieuses, on constate depuis 1975 une stagnation en la matière, tandis que l’on réévalue l’importance des revenus, très inégalitaires, du patrimoine. Des biens de consommation comme l’ordinateur restent difficilement accessibles aux plus modestes, et l’on note des profils de consommation culturelle nettement différenciés entre groupes sociaux. Théâtre, lecture et visites de musée restent l’apanage des cadres et professions intellectuelles supérieures. Enfin, l’univers du travail continue d’opposer le travail des cadres (autonomie, valorisation des compétences) et celui des ouvriers et employés (dépendance et soumission). n
(1) Henri Mendras, La Seconde Révolution française, 1988, Gallimard, coll. « Folio essais », 1994.
Dans un essai qui a fait grand bruit, Les Classes moyennes à la dérive (1), le sociologue Louis Chauvel a souligné le risque de déclassement qui frappe aujourd’hui les enfants des classes moyennes (entretien p. 22). Il souligne en effet que la génération du baby-boom a profité d’une conjoncture économique exceptionnelle. Plein emploi, nombreux recrutements au sein d’une fonction publique croissante, augmentation de salaires de 4 % par an, système de protection sociale généreux… Tout cela a permis à de nombreux individus d’accéder à des positions de classe moyenne en rentabilisant au maximum leurs diplômes, d’effectuer de très bonnes carrières et de profiter bientôt de retraites à taux plein. Mais leurs enfants connaissent un retournement de conjoncture. Alors que le chômage se maintient à un haut niveau, le nombre de diplômés du supérieur ne cesse de croître alors que les effectifs de la fonction publique stagnent depuis vingt ans, sans que le privé ait pris le relais. D’où par exemple la multiplication des « intellos précaires », ou encore les manifestations contre le CPE, qui traduisent le décalage entre les espoirs légitimes de la jeunesse des classes moyennes et la réalité qu’ils auront du mal ne serait-ce qu’à faire aussi bien que leurs parents.
Une thèse dont le pessimisme a été discuté. Le sociologue Serge Bosc rappelle ainsi que la catégorie « professions intermédiaires » est toujours en expansion, passant de 18,6 % des emplois en 1982 à 23,1 % en 2003, soit près de 1,5 million d’individus en plus (2). Plusieurs spécialistes de l’éducation soulignent par ailleurs que, grâce à leurs parcours scolaires, les enfants des classes moyennes gardent des chances importantes d’ascension sociale. Denis Clerc critique, lui, le manichéisme de l’opposition entre une génération dorée et une génération sacrifiée (3). Il souligne que le ralentissement économique a touché toutes les classes d’âge, pas seulement les jeunes. Parmi les baby-boomers, certains connaissent à 50 ans la stagnation du salaire ou le chômage, et ne pourront bénéficier de leur retraite à taux plein. D’autre part, selon D. Clerc, si les jeunes connaissent effectivement des difficultés d’insertion plus grandes sur le marché du travail, rien n’indique que leur avenir soit dès lors joué. Ils peuvent bénéficier ultérieurement d’une conjoncture plus favorable pour finalement faire mieux que leurs parents.
NOTES
(1) Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006.
(2) Serge Bosc, « Les équivoques d’un discours globalisant », in Serge Bosc (coord.), « Les classes moyennes », Problèmes politiques et sociaux, n° 938-939, La Documentation française, juillet-août 2007.
(3) Denis Clerc, « Les généralisations abusives de Louis Chauvel », L’Économie politique, n° 33, janvier 2007.
« La classe moyenne se compose de tous ceux qui, ayant un certain capital, vivent beaucoup moins de ce capital que de l’activité qu’ils y appliquent. Ce sont les petits entrepreneurs, les petits commerçants, les petits industriels, les boutiquiers qui ont pris racine, qui ont une certaine clientèle (…). La classe moyenne comprend encore tous les propriétaires cultivateurs, qui ont un domaine suffisant pour y vivre,eux et leur famille (…). J’y rangerai également ces propriétaires moyens, qui ne travaillent pas précisément de leurs mains, mais qui, par la modestie de leur vie, nourrie surtout du potager, du verger et de la basse-cour, par l’activité quotidienne et minutieuse de leur surveillance sont en quelque sorte tout près de la terre. Enfin la classe moyenne comprend tous les employés assez appointés pour pouvoir faire quelque épargne et attendre sans trouble une place nouvelle, tous les membres des professions libérales et des administrations publiques assimilées à ces professions. Tous ces hommes ne sont pas nécessairement, comme le petit entrepreneur, en possession d’un capital actuel ; leur capital a été bien souvent absorbé par les frais d’éducation, mais cette éducation même le représente. À l’inverse du prolétariat, la classe moyenne est caractérisée, au point de vue économique, par une sécurité relative de la vie et par une assez large indépendance. »
Plutôt qu’à l’image classique de la pyramide, Henri Mendras proposait de se référer, pour représenter la société française, à l’image de la toupie. Selon lui, elle rendrait mieux compte, d’une part, de la place centrale qu’ont conquise les classes moyennes entre 1965 et 1984, avec notamment l’explosion des cadres et, d’autre part, du rôle moteur qu’elles jouent en matière de styles de vie. Le « ventre » de la toupie symbolise aussi l’effacement des barrières de classes dans une société à forte mobilité sociale : il y a toujours un haut et un bas, mais d’une certaine manière tout le monde est un peu « moyen » – donc plus personne ne l’est…
Louis Chauvel, professeur à l’IEP-Paris, chercheur à l’OFCE et à l’OSC.
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La crise asiatique débute le 2 juillet 1997 avec la décision de laisser flotter le baht thaïlandais après que celui-ci a subi une série d’attaques spéculatives. Le baht entraîne dans sa chute les monnaies indonésienne, malaise et philippine, puis la crise s’étend à la Corée, à Taïwan, à Singapour et à Hong Kong. Survenant après plusieurs décennies de résultats économiques exceptionnels en Asie, cette crise, d’une très forte ampleur, se propage rapidement au reste de l’économie mondiale. En Indonésie, en Malaisie et aux Philippines, de vives tensions sur le marché des changes aboutissent à l’adoption d’un régime de changes plus flexible et à une dépréciation* notable des monnaies nationales, ainsi qu’à un recul prononcé de la valeur des actifs.
À l’origine des difficultés asiatiques, on trouve l’endettement massif de certains pays qui ont surinvesti au cours des années 1990 dans des projets parfois peu rentables ou très risqués, plus particulièrement dans le secteur immobilier. Une partie importante de la dette du secteur privé ayant été contractée en monnaie étrangère (principalement en dollars) sans couverture, le risque de change* était important, une dépréciation de la monnaie nationale par rapport au dollar faisant mécaniquement augmenter le montant de la dette.
Ce surendettement s’explique de plusieurs façons : par un excès d’optimisme des investisseurs locaux et internationaux, par la fixité des changes par rapport au dollar qui donne l’illusion d’une neutralisation du risque de change, et enfin par l’existence d’une bulle immobilière. Grâce à l’augmentation des cours de l’immobilier, des emprunts importants ont pu être contractés, les biens immobiliers étant souvent offerts en garantie. L’endettement de la Thaïlande représente ainsi 100 % de son PNB en 1996 contre 64,5 % en 1990, période pendant laquelle sa dette extérieure a doublé.
En 1997, suite à la baisse des exportations thaïlandaises, les acteurs économiques prennent conscience que le taux de change fixe avec le dollar est insoutenable. Les entreprises locales qui ont contracté des dettes en dollars, anticipant une prochaine dévaluation*, se précipitent pour les convertir en monnaie locale et rembourser ainsi au plus vite. Ce mouvement amplifie les tensions existant sur le marché des changes : plus les dettes extérieures sont remboursées, plus le dollar et son coût réel augmentent. Les banques locales, constatant le renchérissement de leurs emprunts extérieurs et prenant conscience qu’elles ont accumulé des créances douteuses, restreignent massivement leurs octrois de crédits – suivies par les investisseurs internationaux, qui tiennent le même raisonnement. À mesure que les banques refusent de refinancer les acteurs privés, ces derniers sont contraints de vendre leurs actifs réels et financiers pour se procurer des liquidités et rembourser leurs dettes. La vente massive de ces actifs fait baisser leurs prix, ce qui diminue en retour la capacité financière des entreprises, dissuadant encore plus les banques de prêter de l’argent, et déclenchant ainsi des faillites en série. C’est ainsi qu’un mouvement de déflation par la dette interne vient amplifier le processus de déflation engendré par la dette extérieure.
La crise asiatique est un exemple quasi parfait du phénomène de debt-deflation ou déflation par la dette, théorisé par Fisher en 1933 pour expliquer la crise de 1929. Pour Fisher, toute crise est précédée d’un surendettement (dû à une spéculation excessive et à des investissements trop optimistes), et suivie d’une déflation. Fisher, à l’instar de Keynes, accorde une place importante aux mouvements mimétiques : il considère que des facteurs psychologiques généralisent et accentuent le mouvement d’endettement initial. La défaillance de quelques emprunteurs importants suffit pour que les acteurs revoient leurs anticipations de profits à la baisse. La défiance se généralise rapidement et l’offre de financement est réduite. Les acteurs économiques se trouvent obligés de vendre leurs actifs pour honorer leurs dettes, ce qui entraîne alors une baisse des prix des actifs, et enclenche une spirale déflationniste. En 1982, Minsky amende la théorie de Fisher tout en gardant l’idée de debt-deflation. Minsky distingue trois modes de financement : le financement couvert (les revenus attendus excèdent la charge de l’emprunt), le financement spéculatif (les revenus attendus couvrent simplement les intérêts de la dette) et le financement de Ponzi. Lors des phases d’expansion économique et d’euphorie sur les marchés, la part des financements de Ponzi augmente par rapport aux autres. Le risque encouru par les créanciers devient plus grand (ils offrent des crédits plus risqués), mais tant que les anticipations de profits sont bonnes, l’expansion se poursuit. Au moindre ralentissement néanmoins, à la moindre faillite d’un acteur relativement important, les anticipations peuvent se retourner à la baisse et la spirale de la debt-deflation s’enclencher. C’est exactement ce qui s’est passé en Asie. Les acteurs étaient à l’époque très optimistes, des crédits inconsidérés étant accordés grâce à l’envolée de l’immobilier, plaçant toute la zone en position de vulnérabilité – ce qui n’est pas sans rappeler les causes de la crise des subprimes [Paul Jorion, p. 212].
6
La crise financière asiatique a mis le Fonds monétaire international (FMI) sur le devant de la scène [Jérôme Sgard, p. 267]. Malgré ses conseils, ses programmes de réformes et ses aides financières, le FMI s’est révélé incapable d’endiguer la crise et l’a même, selon certains analystes, aggravée. Son intervention a consisté à préconiser une politique monétaire restrictive pour enrayer l’effondrement des taux de change, et à susciter la mise en œuvre d’une politique budgétaire prudente. Les réformes structurelles ont visé à restructurer le secteur des banques, en pratiquant des fusions et en fermant les établissements non viables. Les conséquences sociales de l’austérité des programmes ont été vivement dénoncées. La Banque mondiale elle-même a adressé des reproches au FMI.
Navarro Marion, « Retour sur la crise asiatique », Regards croisés sur l’économie, 1/2008 (n° 3), p. 273-275.
URL : http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-1-page-273.htm
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19 août 2016 – Déciles, quartiles, fractiles et cie : tout le monde en parle pour décrire les revenus notamment, sans toujours bien comprendre de quoi il s’agit. Mise au point de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Le concept de « décile » est souvent employé pour mesurer les inégalités de revenus mais pas toujours à bon escient. Essayons d’expliquer ce qu’il recouvre vraiment. Pour mesurer les inégalités, on découpe la « population » en tranches. Au passage, le mot « population » doit se comprendre au sens des statisticiens pour qui un groupe de pommes constitue une « population ». Dans notre cas, pour les revenus, notre « population », est constituée soit de ménages, soit d’individus.
Quand on découpe notre population en tranches égales de 10 %, on obtient ce que les statisticiens appellent des « déciles ». Si on la découpe en fonction du niveau de salaire, notre décile est la valeur du niveau de salaire qui sépare chaque tranche, de 10 % en 10 % [1].
Ensuite, on classe les déciles par ordre croissant. Le premier décile est donc le niveau de salaire qui sépare d’un côté les 10 % des salariés les moins bien payés et de l’autre les 90 % les mieux payés. Le deuxième est le niveau de salaire pour lequel 20 % touchent moins et 80 % touchent plus. Et on continue jusqu’au neuvième. Pour aller plus vite, les statisticiens écrivent parfois D1, pour le premier décile, D2 pour le second, et ainsi de suite.
On n’est pas obligé de découper des tranches de 10 %. Une tranche de 1 %, est un centile. Une tranche de 20 %, c’est un quintile (20 % = un cinquième). Une tranche de 25 %, c’est un quartile (25 % = un quart), etc. Un autre découpage connu est la médiane (qui n’est autre que le 5e décile par ailleurs) : on divise simplement la population en deux, la moitié au-dessus, la moitié au-dessous. Tous ces découpages sont regroupés sous le nom savant de « fractiles », qui signifie seulement « n’importe quel type de tranche ».
Notre découpage nous intéresse pour mesurer les inégalités, car il permet de rapporter le niveau d’une tranche sur une autre. Le plus souvent, on rapporte D9 à D1, et on appelle ça le « rapport interdécile ». On peut aussi calculer l’écart absolu entre les déciles (lire notre article sur la mesure des inégalités de revenu).
Photo / © Karramba Production – Fotolia.com
Notes
[1] Attention on qualifie souvent de décile la valeur moyenne de la tranche ou l’intervalle entre deux valeurs. Non : un décile, c’est bien la valeur qui sépare deux tranches.