Category Archives: Chapitre : Comment les pouvoirs publics peuvent ils contribuer à la justice sociale ?

ÉTATS-PROVIDENCE : définition, principes et typologies

Comment fonctionne un État providence ? Quels en sont les grands principes et les différentes typologies ? Qui sont les économistes incontournables à ce sujet ?  

Le tour de la question en 5 minutes avec Éric Keslassy, professeur d’économie en classes préparatoires.
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L’égalité, vous la préférez horizontale, ou verticale ?

Gilles Raveaud (Alter éco)

 

 

Questions :

1/ Estimez-vous normal qu’un couple qui a un enfant voie son niveau de vie baisser ?

2/ Estimez-vous normal qu’on donne plus à un enfant de riche qu’à un enfant de pauvre ?

Si vous avez répondu “non” à ces deux questions, vous êtes en pleine contradiction. En effet, pour éviter que tous les couples voient leur niveau de vie baisser lorsque l’enfant paraît, il faut verser plus aux couples aisés. De ce fait, la société versera plus à un enfant de riche qu’à un enfant de pauvre.

Le débat actuel sur le quotient familial permet de revenir sur la distinction entre l’égalité que l’on qualifie “d’horizontale” et l’égalité “verticale”. L’égalité verticale est celle à laquelle on pense spontanément, c’est-à-dire l’égalité des revenus. L’égalité horizontale désigne, elle, le fait que des personnes placées “dans la même situation” aient le même niveau de vie. Par exemple, un couple gagnant 4 000 € par mois doit vivre aussi bien qu’un couple avec deux enfants gagnant la même somme.

Ainsi que l’explique Christiane Marty, “La redistribution verticale a pour fonction de limiter les inégalités de revenus et de promouvoir la justice sociale. Elle passe par des transferts monétaires des revenus les plus élevés vers les plus faibles.”

A l’inverse, “La redistribution horizontale concerne différents domaines, liés à la couverture de risques sociaux : elle est à la base de la protection sociale. En matière de santé, elle organise la solidarité entre bien‐portants et malades (…). (…) De même pour la prise en charge du chômage, il y a redistribution horizontale des actifs occupés vers les chômeurs indemnisés. En matière familiale, elle organise la solidarité des personnes sans enfants et des familles avec enfants.”

La solidarité horizontale est à la base de la Sécurité sociale : les les travailleurs occupés cotisent pour les chômeurs et les retraités. C’est pour cela que tant les cotisations que les prestations sociales, les allocations chômage ou les retraites sont proportionnelles au revenu.

Il faut donc bien noter que la Sécurité sociale n’est pas un mécanisme redistributif : il ne s’agit pas, par la Sécu, de prendre aux riches pour donner aux pauvres. Il s’agit, par un mécanisme d’assurance, de permettre à chaque personne de préserver son niveau de vie. Ainsi, un cadre au chômage ou à la retraite pourra toucher 3 000 € par mois, soit bien plus que la grande majorité des travailleurs.

Pour bien comprendre, il faut se rappeler que le système de protection sociale est issue des caisses de secours mutuel que les ouvriers (qualifiés) avaient mises en place à partir du XIXème siècle afin de se prémunir contre la pauvreté en cas d’accident du travail, et pour percevoir une pension lors de leur vieillesse.

Le sociologue danois Gosta Esping-Andersen qualifie de ce fait le système de sécurité sociale, tel qu’il existe en Europe continentale, et particulièrement en France et en Allemagne, de “corporatiste”, puisqu’il repose sur la profession (la “corporation”).

Pour Esping-Andersen, ce système a pour objectif fondamental de préserver le statut social des personnes affectées par un accident de la vie (maternité, chômage, maladie, retraite) qui les empêche, temporairement ou non, de travailler, et donc de percevoir un revenu.

Esping-Andersen distingue ce système des systèmes qu’il qualifie de “sociaux-démocrates”, comme ceux en vigueur dans les pays nordiques. Les systèmes sociaux-démocrates se distinguent doublement des systèmes corporatistes : d’une part, ils sont financés par l’impôt, prélevé sur l’ensemble des revenus, et non pas par des cotisations sociales, assises sur les seuls revenus du travail.

De plus, les systèmes sociaux-démocrates visent un haut niveau d’égalité, dans une logique à la fois socialiste et individualiste : socialiste car ces systèmes nécessitent des impôts très élevés, mais aussi individualiste dans le sens où il s’agit de permettre à chaque individu de mener la vie qu’il souhaite, indépendamment de son origine sociale, ou du type de “famille” (y compris homosexuelle, etc.) à laquelle il appartient.

C’est pour cela que, dans le modèle social-démocrate, tant les systèmes d’imposition que les prestations versées sont, dans le modèle pur, fonction uniquement du revenu de chaque personne.

Ainsi, par exemple, le privilège accordé en France aux ménages mariés, qui paient moins d’impôt que les couples non mariés, ne saurait exister dans le modèle social-démocrate, puisque ce privilège constitue une discrimination sans fondement – dont je ne comprends pas qu’elle soit légale en France, puisqu’elle me semble en contradiction avec le principe d’égalité devant l’impôt.

Reprenons : en France, la Sécurité sociale procède de l’égalité horizontale. Le seul élément de notre système socio-fiscal visant à réduire les inégalités verticales, c’est l’impôt sur le revenu. Comme cet élément est le seul et qu’il est relativement petit, notre système est, en gros, proportionnel : la redistribution des revenus en France est TRÈS limitée, comme l’ont démontré Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez (voir ce graphique).

Mais là où ça se complique sérieusement, c’est que, comme le note Christiane Marty, puisque “les redistributions verticale et horizontale n’ont pas le même objet, elles entrent parfois en contradiction. Il y alors des choix politiques à faire.”

Et ces choix sont tous sauf évidents.

En effet, pour éviter qu’un ménage de cadre supérieur ne voie son niveau de vie baisser lorsque paraît l’enfant par rapport à sa situation sans enfant, il faut nécessairement que ce ménage reçoive une aide importante de la collectivité. Mais alors, ce ménage recevra plus que le ménage d’ouvriers dont le revenu baisse également – mais moins – lorsqu’il a son premier enfant.

Mince, nous voilà coincés.

Alors, que penser ? C’est tout l’objet de la controverse relayée par Jean Gadrey sur son blog.

Pour Christiane Marty, le quotient familial doit être abandonné. Il s’agit en effet non pas de permettre au couple de cadres de maintenir son niveau de vie, mais “d’assurer à chaque enfant un niveau de vie convenable quel que soit le revenu des parents.”

En effet, comme elle le note, “le quotient familial, qui vise l’équité horizontale, opère une redistribution verticale à l’envers très importante”. Les chiffres qu’elle donne sont en effet stupéfiants.

De plus, Christiane Marty relève que “Le second problème vient du fait que cette conception repose entièrement sur l’objectif d’un maintien d’une grandeur, le niveau de vie (…). Or “chacun a une perception de ce qu’est le niveau de vie”, et il n’existe pas de définition simple et objective de ce terme.

Elle propose donc “une aide égale pour chaque enfant”, ce qui “traduit la mise en œuvre de droits universels : droit pour tous à la santé, à l’éducation, à l’aide de la collectivité pour élever un enfant, etc.”

A l’inverse, pour Henri Sterdyniak, « les familles avec enfants doivent avoir le même niveau de vie que les personnes sans enfants qui ont les mêmes revenus primaires, et ceci quel que soit le niveau de revenu ».

Dans sa réponse à Christiane Marty, Henry Sterdyniak explique que le système socio-fiscal combine de manière assez satisfaisante différents principes de justice :

4) Bien sûr, je ne prône pas l’équité horizontale familiale (que les prestations familiales compensent le coût de l’enfant pour toutes les familles).

Je dis clairement que la politique familiale doit faire un arbitrage entre plusieurs logiques, dont l’une est l’équité horizontale, une autre le revenu minimum pour les enfants des familles les plus pauvres, une autre l’équité fiscale. On ne peut pas opposer ces logiques ; elles doivent être combinées.

C’est le cas dans le système français. Les prestations sous conditions de ressources (RSA, complément familial, allocation-logement, ARS) doivent assurer un niveau de vie satisfaisant aux familles les plus pauvres. Les prestations universelles doivent compenser, en partie, le coût de l’enfant pour les autres.

La fiscalité ne peut pas aider les familles pauvres plus qu’en ne les imposant pas. Elle doit être équitable pour les autres.

Il est absurde de reprocher au quotient familial de ne pas bénéficier aux familles les plus pauvres : celles-ci bénéficient à plein de leur non-imposition et les prestations sous conditions de ressources aident ceux qui ne sont pas imposables.

Cet avis n’est pas partagé par Denis Clerc, qui estime que le système actuel ne permet pas la mise en œuvre d’une égalité horizontale :

Le quotient familial est un bien mauvais instrument pour instaurer une équité horizontale. Il est d’abord très mal calibré.

Un couple avec trois enfants bénéficie d’un quotient de 4, alors que, d’après les enquêtes de consommation, cette famille, pour bénéficier du même niveau de vie qu’un(e) célibataire, n’est amenée à dépenser que 2,4 à 3 fois plus.

Affaire de convention, dira-t-on. Pas du tout : compte tenu de la progressivité de l’impôt sur le revenu, diviser les revenus imposables du premier ménage par 4 ou par 2,4 donnera un impôt final bien moindre dans le premier cas que dans le second.

Enfin (provisoirement), dans sa réponse à Henri Sterdyniak, Christiane Marty doute qu’il ne soit pas en faveur de “l’équité horizontale familiale”, puisque, selon elle, c’est ce qui relève de ses écrits (dont un article de la Revue de l’OFCE dont est extraite la première citation de Henri Sterdyniak reproduite plus haut).

Christiane Marty défend une autre conception de l’équité horizontale :

Pour ma part, je défends une conception de l’équité horizontale qui cible les enfants (et non les parents, même si c’est lié), et qui vise à assurer à chaque enfant un niveau de vie convenable quel que soit le revenu des parents (et non à assurer une prise en charge « de luxe » pour les enfants des familles aisées qui viserait à maintenir un niveau de vie privilégié).

Pour ma part, je suis largement convaincu par les arguments développés par Christiane Marty et Denis Clerc.

On pourra lire sur le même sujet les textes courts et limpides de Christian Chavagneux et Louis Maurin, qui emportent, me semble-t-il, la conviction.

Les multiples conceptions de la justice sociale

Igor Martinache 01/06/2014 Alternatives Economiques n°336

 

Si la justice sociale apparaît comme un objectif politique largement partagé dans les programmes et les discours, elle demeure bien délicate à définir. Nombreux sont les chercheurs qui se sont efforcés d’en préciser le sens, mais ils en proposent des conceptionsdifférentes, qui s’affrontent. Tour d’horizon.

1. L’égalité, mais de quoi ?

Pour Alexis de Tocqueville, auteur notamment de De la démocratie en Amérique (1835-1840), la démocratie ne désigne pas seulement un régime politique mais, plus profondément, un état de la société dans lequel ses membres se considèrent d’égale condition. Il s’agit d’un idéal dont la réalisation passe par un objectif de justice sociale. Or, cet idéal est lui-même travaillé par plusieurs tensions. On distingue aujourd’hui en général trois formes de justice sociale dans les sociétés démocratiques contemporaines selon le type d’égalité qu’elles cherchent à instaurer.

La justice dite « commutative » ou universaliste vise l’égalité des droits. Il s’agit de veiller à ce que les règles soient les mêmes pour tous, et donc à exclure toute forme de privilèges propres aux sociétés d’ordres ou de castes. C’est elle que proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme du 26 août 1789 et la seule que reconnaissent les libertariens* les plus ardents, comme l’économiste Friedrich Hayek ou le philosophe Robert Nozick. Si le premier considère la justice sociale comme un « vocable vide de sens« , il tient malgré tout le marché comme la seule instance impartiale capable de garantir que chacun est récompensé suivant ses mérites. Dans cette perspective, les inégalités peuvent être justes si elles découlent de procédures qui le sont, et elles sont même inévitables. Chercher à les contrôler conduirait à ses yeux sur la « route de la servitude » d’un totalitarisme socialiste.

 

[su_spoiler title= »Un système fiscal faiblement progressif ou franchement régressif ? »][/su_spoiler]

 

 
 
 

Déjà promue par Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, la justice distributive, ou différentialiste, met, elle, l’accent sur l’égalité des chances, ce qui n’exclut pas des inégalités de traitement, au moins temporaires, pour corriger des handicaps individuels ou collectifs. Tel est le socle par exemple des politiques dites de « discrimination positive » mises en oeuvre en Inde, aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud pour corriger les effets toujours sensibles d’oppressions du passé. Là aussi, la justice réside d’abord dans les procédures et s’inscrit dans une vision compétitive de la société s’accommodant de fortes inégalités de situations.

Seule la justice correctrice met en avant l’égalité des positions atteintes et non initiales. Plusieurs sociologues s’en sont récemment faits les avocats face à la promotion du slogan de l’égalité des chances1. Ils pointent ainsi la confusion entourant la définition du mérite, entre talents « naturels » et efforts personnels, et l’impossibilité de l’isoler d’autres facteurs de réussite arbitraires (héritages économiques ou culturels, environnement institutionnel, chance, etc.). Plus encore, ils avancent qu’une méritocratie** n’est pas seulement impossible mais qu’elle est aussi indésirable. Elle impose en effet à tous une certaine conception de la réussite à l’exclusion d’autres et favorise les « maladies de l’excellence » (stress, burn-out ou dépression). Concédant au mérite un rôle d’aiguillon, Marie Duru-Bellat plaide néanmoins pour que l’on reconnaisse ses multiples dimensions et le fait que « le mérite n’est rien d’autre que ce que la société choisit de rémunérer pour orienter les actions de ses membres« .

2. La justice comme équité

Faut-il dès lors prendre acte de la pluralité des conceptions de la justice et abandonner l’idée de poser certains principes de portée universelle ? Non, selon John Rawls, qui a développé à partir de la fin des années 1950 une théorie de la « justice comme équité ». Il entend en particulier dépasser les approches utilitaristes*** élaborées par des auteurs divers comme Jeremy Bentham, James Mill ou Henry Sidgwick, qui considèrent qu’une société juste est celle dont les institutions optimisent la somme des satisfactions individuelles, quitte à sacrifier les libertés de quelques-uns.

Dans la lignée d’Emmanuel Kant et de Jean-Jacques Rousseau, Rawls défend au contraire une approche contractualiste**** de la société, où l’équité désigne la reconnaissance mutuelle nécessaire entre des membres rationnels. Pour déterminer les principes acceptables par tous, il propose de partir d’une situation fictive, la « position originelle », où chacun serait placé derrière un voile d’ignorance, l’empêchant de connaître non seulement sa place dans la société mais également ses capacités naturelles, son caractère psychologique et sa propre conception du bien ou son projet de vie.

Dans une telle situation, chacun privilégierait nécessairement deux principes à tout autre, utilitariste ou libéral notamment : le « principe de liberté » suivant lequel « chaque personnedoit avoir undroit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres«  et un « principe de différence » qui pose que « les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions et des fonctions ouvertes à tous« .

Ces principes sont eux-mêmes organisés suivant un ordre de priorité absolue où le critère suivant n’est examiné que si le précédent est satisfait. Le respect des libertés de base vient ainsi avant l’égalité des chances, laquelle est elle-même devant le fait que toute inégalité de position ne peut se justifier que si elle profite à tous, et en particulier aux plus défavorisés – critère que les économistes qualifient de « maximin », une notion que Rawls conteste, mais qu’il utilise malgré tout. Le concept de justice ainsi défini, s’appliquant à la structure de base de la société, constitue le socle indispensable de toute démocratie – que Rawls prend aussi soin de distinguer de la méritocratie -, sans empêcher le déploiement ensuite en leur sein de conceptions particulières de la justice ou du bien.

 
[su_spoiler title= »Répartition du revenu global en France par tranche de niveaux de vie en 2011, en % »][/su_spoiler]
 

 

 
 
 

Au début des années 1980, le juriste Ronald Dworkin va développer dans une série d’articles une approche de l’union sociale quelque peu distincte de celle de Rawls. La justice y réside dans le fait de réduire au maximum l’arbitraire, entendu comme tout ce qui ne relève pas de choix individuels. Pour en esquisser les institutions, il imagine à son tour deux dispositifs théoriques. Le premier est une vente aux enchères fictive, où seraient proposées toutes les ressources désirables de l’existence et où chaque participant disposerait du même pouvoir d’achat. A la fin, chacun doit préférer son propre panier à ceux de tous les autres, ce que l’auteur qualifie de « test de l’envie ». Pour résoudre ensuite le problème de l’inégale répartition des handicaps naturels, Dworkin propose un système d’assurances fictif. Placé derrière un voile d’ignorance, chacun exprimerait le montant de la prime qu’il serait prêt à verser s’il s’avérait affecté d’un tel désavantage, ce qui permet de déduire le montant des primes à verser. Dans cette conception compensatrice de la justice, les inégalités résultantes seraient toutes justes, dans la mesure où elles ne résulteraient que d’arbitrages individuels, entre travail et loisirs, ou de prise de risque, par exemple, et non des circonstances.

3. Une égale capacité à choisir notre destin

La théorie de Rawls a depuis 1971 connu de nombreux prolongements, discussions et appropriations politiques contrastées2, rappelant que les idées n’ont pas un sens et une force intrinsèques. On tend ainsi à exagérer l’opposition entre John Rawls et Amartya Sen. S’il critique son insuffisante attention aux comportements concrets, Sen amende bien plus qu’il ne réfute la théorie de Rawls. Envisagée comme un idéal vers lequel tendre, la justice réside d’abord dans la résorption des « injustices intolérables », comme l’esclavage, et dans l’égalisation des « capabilités », c’est-à-dire l’accès à un ensemble d’états et d’aptitudes (santé, éducation, logements…) qui lui permettent de réaliser son projet de vie. Il s’agit ainsi d’aller au-delà des libertés formelles pour se préoccuper des libertés réelles.

 
[su_spoiler title= »Evolution du coefficient de Gini « ][/su_spoiler]
 

 

 
 
 

Bien que Rawls ou Sen se disent attentifs à la pluralité des valeurs, les auteurs regroupés sous l’étiquette de « communautariens » comme Michael Sandel, Charles Taylor ou Alasdair MacIntyre dénoncent l’individualisme sous-jacent à ces théories libérales. Ils font valoir que nous sommes chacun déjà inscrits dans des groupes culturels différents au sein d’une même nation qui nous transmettent un certain nombre de valeurs et de fins auxquelles il s’agit de reconnaître une égale valeur, sous certaines conditions.

 

[su_spoiler title= »Zoom Le défi d’une justice globale  » style= »simple » icon= »arrow-circle-1″]

La plupart des réflexions sur la justice sociale s’inscrivent plus ou moins implicitement dans le cadre la communauté nationale. Or, la mondialisation économique et culturelle comme la montée des enjeux écologiques incitent aujourd’hui à élargir la focale au niveau planétaire.

Dans un récent ouvrage1, Marie Duru-Bellat relaie ainsi les travaux de Branko Milanovic qui pointent que les inégalités de revenus sont plus fortes à ce niveau qu’à l’intérieur des Etats. En considérant le monde comme un seul pays, l’indice ou coefficient de Gini* y est de 0,7, soit plus que celui des pays les plus inégalitaires, Brésil et Afrique du Sud (0,6). Plus encore, il montre que pas moins de 60 % de notre revenu dépend du pays où l’on naît, auxquels s’ajoutent 20 % tenant à l’origine sociale, soit une « prime à la naissance » qui relativise fortement la croyance au mérite.

S’interroger sur la justice revient à se demander qui et quoi comparer, explique alors la sociologue. La mise en oeuvre d’une justice globale est cependant loin de faire consensus. Deux courants s’opposent : d’un côté, les « étatistes », pour lesquels le cadre national demeure l’échelle pertinente de la solidarité, et les « cosmopolitistes », comme Amartya Sen ou Thomas Pogge, qui considèrent que les principes de justice devant organiser la distribution des libertés et des biens primordiaux doivent s’appliquer au niveau global. Prenant aussi acte des diverses externalités des inégalités révélées par plusieurs travaux, Marie Duru-Bellat appelle à prendre au sérieux la question de la décroissance, qui n’est autre que celle de la finitude des ressources. Reste, enfin, la question cruciale des espaces de délibération collective où puissent s’élaborer des règles concrétisant ces principes. Au-delà des actuelles instances internationales laissant les Etats parler au nom de leurs citoyens, et sans attendre la constitution d’un hypothétique Etat mondial.

  • 1. Pour une planète équitable. L’urgence d’une justice globale, La République des idées-Le Seuil, 2014.

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Dans Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, publié en 1983, Michael Walzer défend une approche qu’il qualifie de l’« égalité complexe ». Les biens sociaux à répartir sont pour lui investis de significations et de modes de fonctionnement différents qui renvoient à des sphères d’activité distinctes qui doivent être autonomes les unes des autres, comme le marché, la politique ou la religion. Pour Walzer, une distribution inégale peut être légitime dans certaines sphères, et l’injustice réside essentiellement dans la prétention à convertir la valeur d’un bien d’une sphère à l’autre, par exemple son patrimoine économique en influence politique. Ce faisant, il n’existe pas de critère unique pour classer les membres de la société, ce qui tend aussi à pacifier leurs relations.

Les différentes approches communautariennes ont à leur tour été attaquées, notamment par certains tenants du marxisme, pour avoir déplacé l’enjeu de la justice sociale du terrain économique vers le culturel. En accompagnant les revendications à une égale reconnaissance des identités collectives, nationalistes, « ethniques » ou sexuelles, elles auraient éclipsé les luttes contre l’exploitation et pour une redistribution***** plus juste des ressources matérielles.

Pour Nancy Fraser, l’opposition entre politiques de reconnaissance et politiques de redistribution est cependant un leurre, le véritable clivage passe en réalité entre politiques correctrices, qui ne s’attaquent qu’aux symptômes, et politiques de transformation, qui visent à modifier la structure sociale. Ainsi, il ne s’agit pas simplement, comme le préconisent les tenants du multiculturalisme, de reconnaître une égale dignité à toutes les identités, mais au contraire de les déconstruire pour éviter leur essentialisation en attribuant un statut égal à leurs membres. La justice sociale réside d’abord, pour elle, dans la possibilité de chaque membre de la société de participer à parts égales aux interactions qui la constituent, et en particulier aux délibérations par lesquelles se détermine le bien commun. On retrouve ce faisant l’accent que Rawls mettait sur les libertés politiques et le « pluralisme raisonné » promu par Sen, pour qui l’approfondissement de la justice sociale est inséparable de celui de la démocratie.

  • 1. Voir entre autres Le mérite contre la justice, par Marie Duru-Bellat, coll. Nouveaux débats, Les Presses de Sciences-Po, 2009 et Les places et les chances. Repenser la justice sociale, par François Dubet, La République des idées-Le Seuil, 2010.
  • 2. Voir « Le « professeur Rawls » et le « Nobel des pauvres » », par Mathieu Hauchecorne, Actes de la recherche en sciences sociales nos 176-177, 2009, pp. 94-113.

* Libertariens

Penseurs qui ont en commun d’ériger la liberté individuelle en valeur politique suprême et qui s’opposent notamment à l’existence de l’Etat.

** Méritocratie

Société littéralement gouvernée par le mérite. Autrement dit dans laquelle toutes les places et les biens seraient répartis en fonction du seul mérite de ses membres.

*** Utilitarisme

Doctrine philosophico-économique qui se préoccupe avant tout des conséquences des actions sur le bien-être des agents.

**** Contractualisme

Doctrine philosophique qui envisage la société comme un contrat passé entre les différents individus qui la composent.

***** Redistribution

Dispositifs de prélèvements et de prestations qui modifient la répartition primaire des revenus. On distingue la redistribution verticale, qui atténue les inégalités de richesse, et la redistribution horizontale, qui s’exerce de catégories épargnées par un risque vers celles qui le subissent (bien portants vers malades, actifs vers retraités, etc.).

John Rawls

Pour que la notion de mérite puisse continuer de justifier les inégalités socio-économiques, il faudrait que toutes choses soient égales par ailleurs, notamment au niveau de l’éducation que reçoivent les enfants et par rapport aux conditions qui leur permettent d’en bénéficier. (…) Sauf à envisager des mesures extrêmes telle que l’abolition pure et simple de l’héritage, voire de la famille, une concurrence non faussée entre les individus apparaît toutefois, de fait, impossible.

Cette impasse nous impose d’envisager une autre façon d’aborder ce problème; une façon qui supposera que référence soit faite, non plus exclusivement aux individus, mais à l’ensemble des membres d’une société donnée. Dans une telle perspective, l’inégalité sera évaluée en fonction de ce qu’elle apporte à la société ou de ce qu’elle représente pour elle.

L’ouvrage qui a, depuis les années 1970, le plus profondément contribué au renouvellement de la discussion théorique sur la justice sociale est sans conteste la Théorie de la justice [1971] du philosophe américain John Rawls. Dans ce livre fondamental, Rawls n’écrit évidemment nulle part que les individus n’ont absolument aucun droit sur le produit de leurs activités. Les efforts des individus doivent avoir un impact sur leurs situations sociales et l’exigence de coopération sociale est un élément de base de toute sa conception de la justice sociale qui permet en même temps de conférer à la notion de responsabilité individuelle une place significative. Comment, cependant, donner aux individus les moyens de s’élever dans l’échelle des revenus ou des patrimoines et d’améliorer leur niveau de vie sur un mode qui soit conforme aux règles de la justice ?

La solution proposée par Rawls se présente ainsi : les inégalités sociales et économiques – dès lors qu’elles sont attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à l’égalité équitable des chances – pourront être dites «justes» si la répartition des biens qui en résulte est la répartition la plus bénéfique aux plus désavantagés. Ce point, qui correspond au deuxième principe de justice ( «le principe de différence» ), s’énonce de la manière suivante : les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que (a) les plus désavantagés puissent en tirer le plus grand bénéfice attendu et (b) qu’elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à l’égalité équitable des chances.

Ce second principe de justice est tout à fait remarquable d’originalité. On sait que les adversaires de l’égalitarisme se sont, en règle générale, appuyés sur deux arguments essentiels, un argument de principe et un argument plus pragmatique : l’égalitarisme, selon eux, induirait la violation de droits fondamentaux (il serait notamment liberticide et porterait atteinte au droit absolu de propriété) et il serait, par ailleurs, préjudiciable à l’efficacité de l’appareil de production, voire producteur de plus grandes inégalités. Avec Rawls, nous nous tenons à mille lieux de cette forme d’égalitarisme qui implique une sorte de tyrannie du plus petit dénominateur commun.

Si la thèse de Rawls est originale, c’est tout d’abord parce qu’elle revient à poser en termes de justice sociale le problème de l’efficacité des inégalités. Il se place du point de vue des plus démunis pour soutenir que la société juste est celle qui, dans le respect de l’égale liberté de tous (exigence que vise son premier principe de justice), leur est le plus favorable. Cette thèse est ensuite originale parce qu’elle permet de dénoncer les insuffisances d’une conception strictement individualiste de la justice sociale. Rawls intègre en effet à sa théorie de la justice sociale une conception du mérite qui met en cause profondément l’individualisme radical auquel le néolibéralisme et des formes, parfois fort progressistes, de l’égalité des chances restent finalement attachées. Pour Rawls, le méritocratisme et la théorie individualiste de l’égalité des chances qu’on lui associe, ne relèvent trop souvent, dans les faits, que de l’égale possibilité qui est offerte d’abandonner à leur sort les plus défavorisés : « L’égalité des chances, écrit-il, signifie une chance égale de laisser en arrière les plus défavorisés dans la quête personnelle de l’influence et de la position sociale». Pour le dire lapidairement, il estime que les circonstances sont trop inégales pour la notion de mérite individuel puisse être le principe d’une théorie de la justice sociale. Sa théorie à lui se fonde sur une exigence : éviter que les individus puissent, de manière exclusive, « utiliser les hasards des dons naturels et les contingences sociales comme des atouts dans la poursuite des avantages politiques et sociaux» .

Le néolibéralisme part du principe que nous sommes, en tant qu’individus autonomes, propriétaires de nous-mêmes, de nos talents, de nos capacités et, par suite, des fruits de notre activité. De ce point de vue, prélever, sans s’être assuré d’un consentement préalable, une part de ces fruits pour les redistribuer, revient à s’attaquer à notre propre personne. Rawls répond à cet argument en mettant l’accent sur tout ce qui – dans une situation sociale qui ne lui doit rien – permet à un individu d’exercer ses talents: « Nous ne méritons pas notre place dans la répartition des dons à la naissance, pas plus que nous ne méritons notre point de départ initial dans la société. Avons-nous un mérite du fait qu’un caractère supérieur nous a rendus capables de l’effort pour cultiver nos dons ?» A cette question, Rawls répond immédiatement: « Un tel caractère  dépend, en bonne partie, d’un milieu familial heureux et des circonstances sociales de l’enfance que nous ne pouvons mettre à notre actif »

L’attachement de Rawls à la liberté individuelle lui permet de conserver un sens fort à l’intégrité de la personne, simplement cette intégrité devra-t-elle être conçue « conformément aux règles d’un système équitable de coopération ». L’un des intérêts de Rawls est de nous inviter à apprendre à percevoir la dimension doublement sociale du mérite. Son analyse de la notion de mérite, qui fit l’objet de critiques diverses, souligne deux choses : premièrement, que ce qui fait qu’une activité peut être estimée « méritoire » relève directement d’un type donné d’organisation sociale et normative et, deuxièmement, qu’une part importante des moyens qui nous permettent, en tant qu’individus, de mener à bien une telle activité, ne sont pas de notre fait. Par voie de conséquence, il est faux de dire que l’individu possède, en tant que tel, un droit exclusif sur le produit de son activité . Ce produit lui appartient tout autant qu’il appartient à la société. En ce sens, redistribuer des richesses, ce n’est jamais que rendre à la société la part de ce qui lui revient dans ce qu’elle m’a donné.

Source : Patrick Savidan, Le dictionnaire des sciences humaines, 2006

 

D’autres sources :

Sur le site Facil’éco

 

John Rawls et la question de la justice sociale (Cairn)

Justice sociale : Les notions (SES Webclass)

Les notions du chapitre.

Notions acquis de première

Qu’est-ce qu’une fiscalité juste ?

 

 

Pour la plupart des citoyens, le débat public sur les impôts est incompréhensible. Le système fiscal repose en effet sur une multitude de prélèvements complexes, dont les principes de fonctionnement sont différents. Quelques clés de lecture. Par Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.


Il existe trois principales formes d’impôts [1] : l’impôt forfaitaire (une somme fixe), proportionnel (en proportion du revenu par exemple) ou progressif (dont la proportion augmente avec le revenu).

L’impôt forfaitaire

L’impôt forfaitaire consiste à prélever un même montant à chaque contribuable. C’est la forme la plus rudimentaire de fiscalité et la plus injuste, puisqu’elle ne tient pas compte des niveaux de vie  . Elle ne change pas les écarts absolus de revenus, mais accroît les inégalités relatives. Si l’on prélève 100 euros à une personne qui en gagne 1 000 et à une autre qui en touche 2 000, l’écart entre eux reste de 1 000 euros mais le rapport, qui était de à 2 à 1, passe de 1 à 2,1. Ce type d’impôt est en voie de disparition, mais il demeure en France notamment avec la redevance télévision [2], qui prélève plus de trois milliards d’euros sur la grande majorité des foyers sans tenir compte de leur niveau de vie  , sauf rares exceptions.

L’impôt proportionnel

La deuxième forme de prélèvement est proportionnelle aux revenus ou à la consommation. Elle réduit les inégalités absolues (en euros). Une taxe de 10 % de 1 000 euros, représente 100 euros. Sur 2 000 euros, c’est 200 euros. L’écart de revenus passe de 1 000 euros à 900 euros après impôts. Ce type d’impôt ne change rien aux inégalités relatives (en pourcentage). L’écart reste de 1 à 2 avant impôt (2 000 euros contre 1 000 euros) comme après impôt (1 800 euros contre 900 euros). En France, l’essentiel de notre fiscalité fonctionne ainsi : c’est le cas de la contribution sociale généralisée ou des cotisations sociales, comme les impôts indirects, comme la Taxe sur la valeur ajoutée. Les cotisations sociales sont proportionnelles aux revenus, la TVA est proportionnelle aux dépenses (voir encadré).

La TVA : juste ou pas ? [3]
La TVA est souvent jugée injuste car l’impôt payé est inversement proportionnel au revenu. C’est une taxe sur les dépenses de consommation. Plus on est riche, plus on épargne et moins on consomme en proportion de son revenu (tout est relatif…). Rapportée au revenu, la part de la TVA payée sur la consommation diminue avec l’enrichissement.
Cette taxe a des défenseurs qui ont de réels arguments [4] : l’important est en effet de taxer ce qui comble un besoin, et l’épargne ne comble rien, à première vue. Toute somme épargnée sera taxée un jour : soit au moment de l’héritage, soit lors de l’achat d’un bien ou d’un service. Ce n’est pas faux, souvent la TVA est critiquée de façon simpliste. Reste que cette taxe a deux inconvénients. D’une part, elle n’est pas progressive (comme l’impôt sur le revenu) et d’autre part, dans un monde incertain, l’épargne a aussi une utilité certaine : se prémunir pour l’avenir. Taxer les revenus plutôt que la consommation permet de taxer directement l’épargne et éviter que des rentes ne se constituent.

L’impôt progressif

La troisième forme de prélèvement est dite « progressive ». On parle de « progression », parce que les taux de prélèvement augmentent avec la valeur de l’assiette [5] taxée. C’est le cas notamment de l’impôt sur le revenu. Plus le revenu augmente, plus le taux de prélèvement s’accroît. Le taux le plus élevé est dit « marginal ».

L’impôt progressif réduit les inégalités absolues et relatives. Si vous prélevez 10 % sur les revenus de 1 000 euros et 20 % sur les revenus de 2 000 euros, vous obtenez après impôts des revenus de 900 euros et 1 600 euros, soit un rapport qui passe de 1 à 2 à 1 à 1,8. La légitimité de ce type d’impôt est ancienne, l’économiste classique du XVIIIe siècle Adam Smith y était favorable. Pour une raison simple : les 1 000 premiers euros gagnés par une personne lui sont d’une utilité plus grande que les 1 000 euros gagnés par celui qui en perçoit déjà un million. Le second peut plus facilement s’en priver que le premier. C’est au nom de ce critère qu’il est apparu plus juste et économiquement plus efficace de taxer à un taux moins élevé ceux dont les revenus sont les plus faibles. En France, la fiscalité progressive ne représente qu’une part très faible de l’impôt.

Et les dépenses ?

Pour apprécier la justice d’un système fiscal, on devrait tenir compte de la forme des dépenses. Recettes et dépenses sont largement imbriquées : certaines réductions d’impôt (par exemple celles accordées aux journalistes, où à ceux qui emploient des femmes de ménages) sont mêmes qualifiées de « dépenses fiscales » par le ministère du budget et difficile à classer : pas vraiment des dépenses, mais de vrais manques à gagner pour les recettes de l’Etat : on parle de « niches fiscales ».

Apprécier l’aspect redistributif global de la dépense publique est un casse-tête. C’est évident pour l’ensemble des prestations dites sous conditions de ressources : minima sociaux, allocations logements, etc., qui profitent aux plus démunis. Mais pour le reste, comment statuer ? A qui profite l’action de la police ou de la défense nationale ? L’éducation gratuite rend son accès possible aux plus démunis, mais le financement de l’enseignement supérieur bénéficie en masse aux catégories les plus favorisées… Quant au financement de la santé, il profite surtout aux plus âgés, dont les dépenses sont plus élevées.

Jusqu’où peut-on prélever ? Trop d’impôt tue-t-il l’impôt ?
L’adage « trop d’impôt tue l’impôt » est une évidence : si l’on fixe le taux de prélèvement à 100 % des revenus, personne ne voudra travailler, la collectivité ne collectera plus rien et ne pourra donc plus rendre de services. Personne ne sait où se situe le seuil à partir duquel les prélèvements ont un effet négatif sur l’activité. Les comparaisons internationales de niveaux de prélèvements obligatoires n’ont qu’une portée limitée : on compare des services rendus différents. Dans un pays où les retraites sont financées sur la base de versements individuels à des fonds d’investissement privés, les prélèvements obligatoires sont inférieurs. Même chose pour l’école. On paie plus d’impôts en France car la scolarisation à trois ans est gratuite, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays.
Le fonctionnement des principaux impôts sur les ménages
Données 2011
  Type d’impôt Assiette Montant en milliards Part de l’ensemble des prélèvements
Cotisations sociales Proportionnel Salaires 333 38,0%
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) Proportionnel Consommation 130,7 14,9%
Contribution sociale généralisée Proportionnel Salaires 88 10,0%
Impôt sur le revenu Progressif Revenu 50,6 5,8%
Taxe foncière (propriétaires) Proportionnel Valeur locative 26,7 3,0%
Taxe d’habitation (locataires et propriétaires) Proportionnel Valeur locative 16 1,8%
Taxe sur les produits énergétiques Proportionnel Consommation 13,2 1,5%
Frais de notaire* Proportionnel Valeur du bien 10,8 1,2%
Successions Proportionnel Patrimoine 6,9 0,8%
Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) Progressif Patrimoine 4,3 0,5%
Total     680,2 78%
Autres impôts sur les ménages et impôts sur les entreprises     195,8 22%
         
Total général     876 100%
* Droits de mutation à titre onéreux
Source : Rapport sur les prélèvements obligatoires 2013 du ministère du Budget

Quel bilan dresser du système fiscal français ?

Une fois que l’on a compris le fonctionnement du système fiscal, comment apprécier la situation en France en regard des critères de justice sociale ? [6]

Des niches que l’on ne peut nettoyer

Le système français a un premier défaut : il est opaque. En particulier, les bases fiscales de l’impôt sur le revenu ne sont pas claires, du fait de très nombreuses « niches », des systèmes de dérogation à la règle, qui font que certains paient moins que d’autres, des employeurs de personnel domestique aux investisseurs dans l’immobilier. Cette situation est critiquée par l’ensemble des partis politiques, mais les défenseurs des niches savent les préserver. Sur ce sujet, la démagogie est très grande entre les discours et les actes.

Les impôts locaux datent des années 1960

La base qui sert de calcul aux impôts locaux n’a pas été révisée depuis les années 1960 ! Du coup, les habitants des HLM (à l’époque, ils représentaient le confort) sont pénalisés en matière d’impôts par rapport aux centres-villes, qui à l’époque étaient souvent en mauvais état. Cette rénovation demande une forte volonté politique. Une réforme a été amorcée pour les locaux professionnels par le précédent gouvernement. Pour les particuliers, rien ne devrait être fait avant 2015…

Du quotient familial à la redevance télé, de nombreuses injustices

De nombreux impôts fonctionnent de façon particulièrement injuste. Ainsi le mécanisme dit de « quotient familial » de l’impôt sur le revenu procure un avantage (Heureusement plafonné) qui augmente en fonction du nombre d’enfants et du niveau de vie ! La France continue par ailleurs à disposer de prélèvements fixes, les plus injustes. C’est le cas de la redevance télévision. Cette taxe est défendue notamment par les milieux intellectuels et notamment de l’audiovisuel public (qu’elle finance), qui constituent un groupe de pression important.

Et la progressivité ?

Le système fiscal français est globalement proportionnel sur les revenus (cotisations sociales et CSG) ou sur la dépense (TVA). L’impôt progressif est le seul à réduire les inégalités relatives. Dans ce domaine, il y a deux débats distincts. Le premier porte sur la part de l’impôt progressif dans l’ensemble des recettes fiscales : il est réduit en France. L’impôt sur le revenu rapporte 50 milliards d’euros, contre 130 milliards pour la TVA. Il représente moins de 6 % de l’ensemble des recettes fiscales et se situe parmi les plus faibles de l’OCDE. Le second porte sur le degré de progressivité : comment sont étalés les différents taux, et quel est le taux le plus élevé. Les plus aisés mettent en avant qu’à trop les taxer ils seront découragés. Aucune étude ne fait état d’une fuite de contribuables ou de « désincitation » au travail par l’impôt quand les taux de prélèvements progressifs augmentent. L’exemple des pays scandinaves montre qu’une fiscalité progressive supérieure à la nôtre n’empêche pas d’avoir une grande qualité de vie et ne produit pas d’exode massif de catégories aisées sur-taxées. Les politiques de diminution massive des impôts progressifs menées depuis 2000 n’ont en rien relancé la croissance…

Définitions : impôts, prélèvements obligatoires, taxes
Les impôts constituent des prélèvements sur les ressources des contribuables, sans contrepartie déterminée, pour couvrir les dépenses publiques de l’Etat, des collectivités locales et de l’Union européenne. Les taxes sont des formes particulières d’impôt, le plus souvent associées à l’achat d’un bien. Les cotisations sociales sont des prélèvements sur les salaires dans un but précis, le financement de la protection sociale, ce ne sont pas des « impôts » à proprement parler. Les prélèvements obligatoires rassemblent l’ensemble des impôts et cotisations sociales. La redevance audiovisuelle ou la taxe d’enlèvement d’ordures ménagères ne sont pas considérés officiellement comme des « prélèvements obligatoires » car elles financent directement un service.
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Art. 13.
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

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Notes

[1Dans cet article nous utilisons le terme « impôt » de façon générique pour décrire l’ensemble des prélèvements, voir notre définition en encadré.

[2Dont le véritable nom est « contribution à l’audiovisuel public et qui officiellement n’est pas considérée comme un impôt…

[3Lire aussi : « La TVA est-elle juste ? » sur notre site.

[5L’assiette, c’est la base qui est soumise à l’impôt

[6Il faudrait pour aller plus loin prendre en compte la question des générations et notamment la question de la fiscalité de l’environnement