1952 va voir la naissance d’une voix : Georges Brassens sort son premier album et marque la scène française de mots inoubliables et de mélodies faussement simples.
Avec son air désuet, sa maladresse en scène, sa présence discrète, on pouvait croire à l’arrivée d’un garçon sage, mais sa bouffarde fumante et le titre phare de l’album annoncent clairement la couleur : La Mauvaise réputation nous explique que « non, les braves n’aiment pas que l’on suive un autre route qu’eux ». Double négation pour clamer doucement sa tranquille différence. S’il provoque, c’est avec le sourire; s’il bouscule, c’est avec tendresse; s’il renverse, c’est avec émotion; mais il bouscule, renverse et provoque tout au long de son « chemin de petit bonhomme »!
Avec « Gare au Gorille » éclate tout la subtilité de celui qui annonce, au revers de la pochette de son disque, que « Georges Brassens chante les chansons poétiques (…et souvent gaillardes) de… Georges Brassens ». De périphrase scabreuses en détours enfantin, de mots discrètement dérangeants en raccourcis complices, il nous entraîne dans les aventures burlesques des femelles du canton envieuses de la chose d’un quadrumane en rut obligé de choisir entre une vieille décrépite et un jeune juge en bois brut.
De sourires en sourires, la chanson nous emporte dans une intelligence grandissante avec le poète, vers sa chute inattendue qui nous questionne : ce grotesque juge, en pleurs, sous les assauts amoureux de notre gorille en rut, mériterait-il plus de pitié, de compassion, et de rire que « l’homme auquel, le jour même, Il avait fait couper le cou »…
Nous sommes en 1952, presque trente ans avant un certain discours de Badinter qui marquera l’abolition de la peine de mort en France, contre l’avis d’une grande majorité de la population. La chanson de Brassens sera interdite de diffusion sur les ondes de la radio, pendant trois ans.
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« En réalité, je me suis engagé. Seulement, les mauvais esprits ou ceux qui sont dépourvus d’esprit ne s’en sont pas aperçus. Pour que les gens un peu imbéciles s’imaginent que vous êtes engagé, il faut que vous énonciez des faits, il faut que vous leur disiez, voilà : « je suis contre la peine de mort ». Moi, je n’ai pas dit « je suis contre la peine de mort », j’ai écrit Le gorille »