« Alors, François, vous nous quittez?»
« chers auditeurs, chers amis, chers contribuables qui finançaient France Inter de manière aussi généreuse, je quitte cette chaîne fleuron de la culture, et je vais travailler pour Julien Sommet, le gérant du théâtre guignols du Champ-de-Mars, pour perpétuer avec lui la tradition de la caricature, de la critique ironique, du sarcasme pertinent (Dring, dring : le téléphone de Morel se met à sonner, et Morel, très mal élevé, décroche). Oui, allô bonjour Julien, comment allez-vous… comment ça, on annule tout ? Comment ça, le théâtre est fermé ? Comment ça, je suis viré ? ( bip bip :la communication est coupée)
Chers auditeurs, rassurez-vous, donc, cela ne sera pas ma dernière chronique. Puisqu’il faut partir. Il faut partir, plier bagages, libérer le passage, déménager, bouger, faire la place aux spectaculaires, majestueux, incroyables Jeux Olympiques de Paris 2024, bien plus amusants et enfantins que ces bonnes vieilles marionnettes séculaires ! Car nous parlons bien de la sommation qui a été faite de partir au Guignol du Champ-de-Mars : 350 marionnettes, 150 places occupées depuis des années par de jeunes enfants aux yeux brillants, aux cris stridents, aux rires éclatants, une tradition qui remonte à plus d’un siècle, à Lyon, d’abord adressée aux parents, aux adultes, aux sérieux, pour dire de façon plaisante ce qu’on ne pouvait dire de façon grave, qui a poursuivi son chemin, éclairant la route des enfants complices, faisant naître des Guignols de l’Info qui, tiens, c’est bizarre, eux aussi, ont disparu de notre paysage.
Pour les agapes sportives de l’été, ça dérange, les guignols ! Il ne faudrait pas que nos visiteurs devinent la vieillesse de notre majestueux Paris, avec ses pantins qui se remontent à la commedia dell’arte. Adieu, donc, car, même si ça vous ennuie, même si ça vous embête, même si cela vous horripile, même si cela vous fait chier, les J.O. vont certainement déménager dans Paris tout ce qui fait Paris, toute la culture de Paris, toute la tradition de Paris, toute l’intelligence de Paris. Je devine la question sourde qui taraude tout un chacun, aujourd’hui, même si personne n’ose la formuler : est-ce que la tour Eiffel, elle aussi , va être engloutie par l’appétit olympien? Cela semble impossible, mais si notre dame de fer s’avisait de faire de l’ombre à la pelouse d’une partie de golf, gare à elle… Vous me direz, le spectacle à venir est si prometteur que cette fin justifierait ses moyens : qui ne rêverait pas de voir 10 guignols en short et bikini jouer au Volley Beach à la place des guignols de bois vermoulus; des vieilleries de marionnettes en costumes mités contre de jeunes corps bodybuildés et légèrement dénudés! Qui ne rêverait pas que son manège adoré, le plus vieux de Paris, le plus prestigieux symbole de l’enfance, de la joie, de l’insouciance, soit déplacé pour que les guignols de touristes puissent faire un selfie, devant la tour Eiffel, sans être masqué par un cochon volant ? Qui ne rêverait pas que l’on déplace de vieille boîte à livres, des nids de culture, des nids d’intelligence, pour que le guignol de caméraman puisse filmer les trois guignols qui nagent dans la scène remplie de guignols en maillot de bain?
Je sais ce que vous pensez, cette tirade ressemble à une guignolade! Quand on viendra prendre ma chaise, mon micro, mon stylo, mes mots, pour qu’un guignol de la BBC puisse avoir un studio pour faire une chronique sur le tir à l’arc et la course à pied, quand on délogera les SDF de nos rues pour que des guignols de supporters puissent circuler le cœur léger, lorsqu’on leur demandera aux pigeons, aux rats et aux punaises de lit de prendre leur valise pour que les chambres de bonnes louées à mille euros la nuit ressemblent enfin à des palaces, et bien je serais un guignol triste, un guignols blessé, un guignol dépité, mais surtout, toujours, un guignol résistant!
(Dring dring : le téléphone de Morel sonne de nouveau)
Quoi? Moi ? Viré ? Il faut que je rende la clé, que je ferme boutique, que je rejoigne Guignol car je lui ressemble trop avec mes diatribes acérées, débridées, vitriolées!
Amis auditeurs, si vous voyez un cochon de carrousel volant dans le ciel de Paris, je serai dessus, survolant les miasmes politiques, les controverses économiques, pour rêver aux nuages innocents…
À la semaine prochaine, sur la lune!
Sibel VAILLANT & Théo-Phil DOMME (3eme)