Matin Brun, une nouvelle assez courte de Frank Pavloff, raconte la vie de Charlie et de son ami, le narrateur, qui assistent, assez passivement, à la mise en place d’un nouveau régime politique : l’État brun.
Le lecteur peut clairement s’identifier à travers ces deux individus : comme souvent dans le genre de la nouvelle, ils ne sont que des types, avec un portrait physique et moral à peine esquissé. On ne sait qu’une seule chose : tous deux profitent simplement de la vie; ils se rejoignent fréquemment au café où ils discutent des nouvelles de la presse locale, et organisent des soirées où ils jouent aux cartes. Cette simplicité favorise donc l’identification du lecteur à ces deux personnages, stratégie habile puisque nous allons ainsi pouvoir éprouver notre capacité de résistance à la barbarie…
Le fil conducteur de l’histoire est donc cette loi fraichement établie : les chats qui ne sont pas « bruns » sont interdits et doivent être tués, suite à des découvertes scientifiques qui auraient montré la supériorité du poil « brun » sur les autres. Le narrateur a été obligé de tuer son chat, tout comme Charlie se voit forcé de tuer son chien, non brun, lui aussi : la « loi brune » gagne. Sans que personne ne proteste vraiment : s’ils sont tristes de perdre leur animal de compagnie, ils peuvent le remplacer, par un poil brun. Mais, progressivement, cette règle va tout envahir : interdiction de publication pour les journaux qui contestent la loi, prudence des gens ordinaires qui ajoutent « brun » dans toutes leurs phrases, arrestation des personnes ayant possédé un chien ou un chat non brun dans le passé, même si celui-ci a été éliminé, normalement, par la milice… Comme Charlie, que l’on va arrêter sous les yeux de son ami, qui se rend compte alors de l’absurdité des exigences du gouvernement. Mais trop tard : très tôt le matin, on vient frapper violemment à sa porte. La fin de l’histoire n’est pas racontée de manière explicite, mais le lecteur sait comment cela va se terminer…
À travers ce livre, l’auteur critique l’absurdité de certains régimes politiques, qui s’installent en dictature, en imposant au peuple des lois d’abord absurdes, mais sans gravité, devant lesquelles le plus grand nombre ferme les yeux et n’ose pas se rebeller, pour défendre un confort quotidien pourtant mis à mal. Qu’on pense aux sombres heures du nazisme, à l’apartheid, au racisme qu’a subi la communauté noire aux États-Unis, aux purges staliniennes, aux Khmers Rouges, tout cela ne fait pas oublier le message le plus important que cette nouvelle illustre : ces barbaries s’installent dans l’ordinaire, et pourraient resurgir à tout moment.
Cet ouvrage est précieux, car il réussit à faire passer un message de poids, en dix petites pages, sans faire de morale : chaque lecteur est libre de se confronter à cette inertie dangereuse de la masse. Il y a un contraste frappant entre la liberté qui nous est offerte par l’auteur et les libertés dont seront privés, finalement, tous les personnages.
Pauline MONS (3ème)
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