Le vote de Michel Platini pour l’attribution de la Coupe du Monde 2022 aurait-il été influencé ? Un déjeuner à l’Elysée, réunissant Platini, Sarkozy et deux hauts dirigeants Qataris, est sous les projecteurs.
Le 23 novembre 2010, neuf jours avant le vote qui décidera du pays organisateur du Mondial 2022, a lieu un déjeuner qui réunit Nicolas Sarkozy, Michel Platini, alors président de l’UEFA, Tamim Ben Hamad Aithani, prince du Qatar (qui deviendra émir en 2013), ainsi que son premier ministre, Hamad Ben Jassem Al Thani. Claude Guéant et Sophie Dion, alors respectivement secrétaire général de l’Elysée et Conseillère sport du Président, aurait également été présents, bien qu’ils contestent leur présence.
Le repas qui obsède la Justice
Le premier endroit où l’on entend parler de ce déjeuner, c’est dans le magazine France Football, dans une enquête datant de 2013. Le journal avait retrouvé un mail de Jérôme Valcke, avec cette phrase : « Ils ont acheté le Mondial 2022 ». L’article évoque un diner, où Nicolas Sarkozy reçoit Platini, ainsi que Tamim Ben Hamad Aithani et son premier ministre Hamad Ben Jassem Al Thani, afin que l’ancien président de l’UEFA vote en faveur du Qatar pour l’attribution de l’organisation du Mondial. En échange de son vote (et donc, par conséquent, de son influence sur les autres votants), les qataris s’engagent à donner des contreparties. Parmi elles, le rachat du Paris Saint-Germain, dirigé par Sébastien Bazin, un ami proche de Nicolas Sarkozy. Et en effet, en juin 2011, QSI (Qatar Sports Investments) rachète le PSG, pour 76 000 000 €, sept mois après avoir obtenu l’organisation de la Coupe du Monde 2022.
Que s’est-il passé ?
En 2010, le pays considéré comme favori pour l’organisation de la Coupe du Monde 2022 est les Etats-Unis… Enfin, jusqu’à ce que Michel Platini se rende à l’Elysée, pour un fameux déjeuner, le 23 novembre. Le repas se serait déroulé en deux temps. Tout d’abord, un tête-à-tête entre Nicolas Sarkozy et Platini, afin de, si l’on suit les soupçons de la justice, obtenir le ralliement de l’ancien président de l’UEFA à la cause qatari, dans l’espoir d’élire ce pays comme l’organisateur du Mondial. Puis le déjeuner dont il est question ici, avec le prince héritier et le premier ministre, son oncle, pour parler contreparties.
« Lorsque Michel Platini arrive au rendez-vous, il avait dit à ses plus proches conseillers à l’UEFA que pour lui, une candidature du Qatar était complètement loufoque », raconte Bernard Nicolas. Et en effet, si l’on examine bien la situation du Qatar en 2010, l’équipe de foot est placée à la 112ème place du classement de la FIFA, le pays n’a pas de stades, pas d’infrastructures, et surtout, il fait très chaud. Le mois le moins chaud de l’année est janvier, avec 23°C à la mi-journée.
En bref, rien ne prédestinait le Qatar à être élu comme pays organisateur. Pourtant, en sortant du repas avec le président de la République de l’époque, Michel Platini dit à qui veut l’entendre que, finalement, le Qatar semble être son choix de prédilection. Il rajoute également qu’il en était convaincu avant de rentrer à l’Elysée, chose que ses deux plus proches conseillers démentent.
Quand la justice s’empare de l’affaire
En 2016, après la Suisse et les Etats-Unis, le PNF (Parquet National des Finances) ouvre une enquête, confiée à l’OCLCIFF (Office Central de Lutte contre la Corruption et Infractions Financières et Fiscales), pour « corruption privée, trafic d’influence, recel, blanchiment et participation à une association de malfaiteurs », mais ce n’est qu’en 2019 que l’information judiciaire est lancée. « Tout l’enjeu de l’enquête judiciaire ouverte en France depuis six ans sur l’attribution controversée du Mondial au Qatar, c’est de connaitre, à la fois le contenu des discussions ce jour-là, à l’Elysée, et évidemment savoir s’il y a eu des contreparties en échange du vote de Michel Platini en faveur du Qatar », explique Rémi Dupré, journaliste au journal Le Monde. Mais à ce moment-là, le PNF ne possède pas le compte rendu de cette réunion.
Nouvel élément
Il faut savoir que dans les affaires diplomatiques, il y a, au minimum, deux parties, soit deux comptes rendus. Ici, le premier, le procès-verbal français, introuvable, et un document arrivant de Doha, capitale du Qatar. Et oui, car c’est à la fin du printemps 2021, qu’un nouvel élément arrive entre les mains de Bernard Nicolas, Rémi Dupré et Thierry Gadault. Sur ce document, identifié comme « Procès verbal d’accord », on trouve deux signatures : d’abord celle de Tamim Ben Hamad Aithani, puis celle de Nicolas Sarkozy. Rédigé en arabe par les Qataris, il est daté du 23 novembre 2010, à Paris.
Les deux points essentiels qui nous intéressent ici sont les récompenses offertes en échanges des « investissements en France et au soutien du dossier du Qatar pour l’organisation du Mondial 2022[…] », soit le vote de Michel Platini encouragé par Nicolas Sarkozy ainsi que les contreparties, telles que le rachat du PSG par QSI (Qatar Sports Investments) et les quelques 2 000 000 € offerts à Michel Platini, les 2 000 000 € à Claude Guéant et les 15 000 000 € à N. Sarkozy. On rappelle que l’on sait déjà que la Justice suisse avait ouvert une enquête, suite à « plus de 120 transactions suspectes ».
Un autre point est également évoqué, bien qu’il nous intéresse peu ici. Une partie de ce dossier concerne un accord passé entre la France et le Qatar, concernant la guerre en Lybie. « Il a été convenu que l’Etat du Qatar se charge de tous les frais des opérations et de sécurité en Libye. » est écrit, noir sur blanc, sur le document. Il signifie donc que les deux pays avaient comme projets de renverser le colonel Kadhafi. Nous sommes, on le rappelle, en novembre 2010, peu avant les Printemps arabes. Par la suite, le Qatar offre 300 millions d’euros à Nicolas Sarkozy, soit exactement la somme utilisée dans la guerre en Libye.
Et maintenant ?
Au moment où est écrit cet article, nous sommes précisément à dix jours du lancement du Mondial 2022. La polémique sur la Coupe du Monde fait rage. Les conséquences désastreuses pour l’environnement, dues aux stades climatisés, les conditions de travail désastreuses pour les construire, ainsi que le nombre d’ouvriers morts sur les chantiers, tout cela révolte. Les violations des droits des personnes LGBT+ sont également dénoncées. Beaucoup parlent de boycotter l’événement. Pour l’instant, dans l’enquête en cours en France, aucune mise en examen n’a encore été prononcée. Les documents évoqués ici ont été remis à la PNF ainsi qu’au juge d’instruction.
Précisions d’importance
Les informations évoquées dans cet article proviennent (en grande majorité) du site d’information indépendant et Web TV Blast, lancé par Denis Robert. Elles font partie de la collection d’articles Qatar Connection, commencée en avril 2021 et dont l’article le plus récent date du 8 novembre 2022. Afin d’appuyer au mieux mes propos, je cite donc les journalistes qui ont participé à ce que l’on peut comparer à une enquête d’envergure : « A ce stade, on ne peut affirmer à 100% qu’ils [les documents, ndlr] sont authentiques et que les destinataires (des ordres de virement) ont réellement touché ces sommes. Sont-ils crédibles? Oui, absolument. Nous avons enquêté pendant plusieurs mois, avons confronté ces pièces à des experts, avons échangé et interrogé des observateurs avisés du gouvernement qatari, avons posé nos questions à l’ambassade du Qatar à Paris. Jamais, leur teneur et leur facture n’ont été mises en cause. » (24/09/2021). Cette déclaration est toujours d’actualité.
J.Bordes (4ème)