De grands « petits mots »

Ne t’inquiète pas pour moi est un fabuleux roman épistolaire, original et émouvant, dans lequel Alice Kuipers raconte la vie d’une mère et de sa fille qui, parce qu’elles ne peuvent pas se parler normalement, ont créé un système de communication par post-it, qui, même s’il est imparfait, déroulera une relation affective complexe et riche.

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Claire et sa mère vivent seules (divorce) et ont une relation peu commune, car elles n’échangent (presque) que par post-it interposés : elles n’ont pas le temps de se voir, ne font que se croiser, se laisse des mots sur le réfrigérateur pour gérer le quotidien. La mère, qui est très réservée, tendre, et très prise par son travail (elle met au monde les enfants, et en néglige un peu la sienne…), se découvre un cancer du sein. La fille, Claire, encore jeune malgré ses 15 ans, pas tout-à-fait mature, ne comprendra pas tout de suite ce qui se joue devant elle, les souffrances psychologiques, puis physiques que la maladie impose à sa mère.

Les autres personnages, vraiment secondaires, n’ont d’importance que parce qu’ils s’interposent entre la mère et la fille (comme Mickael, le petit ami de Claire, bien plus agé qu’elle, mais qui ne fera que l’enfermer dans les étapes égoïstes d’une relation amoureuse), ou parce qu’ils aideront à leur rapprochement, comme le lapin Jeannot, qui occupe une place importante dans cette famille, fidèle animal de compagnie qui est le lien le plus constant entre la mère et la fille, et qui, malgré lui, permettra de renouer bien des liens fragiles ou cassés.

Car les liens affectifs évolueront fortement, au cours de ce roman : si le début est marqué par un quotidien bien banal, avec un échange de listes de courses, ou de demandes d’argent de poche, très vite les sentiments vont envahir les post-it. D’abord discrètement, puis plus brutalement, avec des disputes et des incompréhensions entres la fille et la mère, puis des déclarations fugages, mais terriblement émouvantes. Jusqu’à ces dernières lettres de Claire, pleine d’émotion et de sensibilité. Car ces deux personnages s’aiment profondément : « ne t’inquiète pas pour moi », dit la mère à la fille, pour la protéger de la maladie, de l’absence; « ne t’inquiète pas pour moi », dit la fille à la mère, pour la rassurer sur ses choix, pour l’encourager dans sa lutte contre la maladie. Tout l’art de l’épistolaire est là, avec cette forme particulière du post-it qui montre admirablement la distance entre les deux personnages, au début, mais qui permet aussi d’accentuer l’intensité des émotions : peu de mots pour dire l’amour que l’on porte à l’autre, mais des mots puissants, forts, touchants.

Un livre qui nous interroge sur notre propre façon d’aimer les gens qui nous entourent, sur notre capacité à communiquer, à dire, à écouter, qui nous grandit dans notre relation à l’autre.

Célia Chabassier & Meï Champeil (4ème)