Journal pas si intime

Les réseaux sociaux sont les nouveaux espaces de « confession » des adolescents d’aujourd’hui : intimité partagée par des centaines d’abonnés, parfois des dizaines de milliers, comme dans l’affaire Mila : rançon d’un succès?

« L’affaire Mila » : une lycéenne de 16 ans fait un live sur Instagram le 18 janvier 2020, pour parler, comme d’habitude, de tout et de rien avec ses « followers », raconter sa vie, partager des idées. Lors des échanges, un garçon d’origine maghrébine lui fait des avances insistantes. Elle le recadre. Vexé, il l’insulte, la traitant de « sale française, sale pute, sale gouine ». Mila, énervée, poste dans la foulée une « story », dans laquelle elle explique qu’elle déteste la religion. Elle termine son propos par : « Votre religion, c’est de la merde ; votre dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci ! Au revoir ! ».

Et voilà, tout part de là ! La vidéo est enregistrée, partagée, relayée sur d’autres réseaux sociaux. Mila se retrouve insultée, menacée de viol, de mort, obligée d’être déscolarisée, d’être cachée et protégée. La justice est prise à partie : Mila est sans doute malpolie  mais non coupable de ce dont on l’accuse : le délit de blasphème, en France, a été abrogé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Rajoutés à cela quelques propos politiques incertains, un sondage dans l’air du temps « To be or not to be Mila » et hop : l’affaire est lancée !

Janvier 2021, un an après, rien n’est résolu : Mila est toujours « bunkerisée ». À l’ère de la liberté d’expression, la réalité a rattrapé Mila qui a confondu espace public et espace privé. Le piège des réseaux sociaux est de nous faire croire qu’on partage avec nos amis une « bulle » dans laquelle on peut se confier et dire tout ce qu’on veut sans aucune conséquence.

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Avant internet, tout ça aurait pu se passer en petit comité, dans une cour de récré, ou être relayé de bouche à oreille et donner lieu à une confrontation houleuse, peut-être à une bagarre du genre « Guerre des boutons ». Aujourd’hui, tout propos sur internet devient public, tout peut déraper en une seconde, tout prend des proportions incroyables : des bandes d’adolescents s’entretuent à coup d’expéditions punitives, des Mila se retrouvent harcelées, muselées, cachées pour échapper à des menaces de mort.

La liberté d’expression, le droit au blasphème, à la critique, religieuse ou politique, doivent être défendus à tout prix ; Mila, aussi. Rien ne justifie le déferlement de violences verbales, d’intimidations dont cette jeune fille est l’objet. Cette affaire renvoie bien sûr à de nombreuses questions de société, de politique, de croyance, d’éducation… Mais, avant tout, l’utilisation des réseaux sociaux doit, elle-aussi, être remise en questions, faire l’objet d’un apprentissage plus précoce et raisonné, dans les familles et à l’école. Internet est devenu « le journal intime du monde ». Loin du vieux cahier sur lequel on écrit nos peines ou nos joies, blogs, posts, vidéos, sont devenus la nouvelle façon de se dire, de construire son identité. Ce mode de socialisation est courant chez les adolescents (chez les vieux aussi, en fait) et peut être positif : caché derrière un écran, il est souvent bien plus facile de se confier. La façon dont on le fait, entre mise en scène et spontanéité, peut parfois dépasser notre volonté, nos pensées et entraîner des conséquences dramatiques…  « Oh (Mila) si tu savais… », enfin, si tu avais su…

Léonard Lomme, pour le texte – Axel Gaut, pour le Pioupiou (3ème)

Sources d’information : liberation.fr, politis.fr, charliehebdo.fr,diplomeo.com