Monsieur Wilchard



Il était tard, la lune brillait déjà haut dans le ciel. Une fumée opaque emplissait l’atmosphère du pub ; les musiciens jouaient un air gai et entraînant, coupé par les rires tonitruants des alcooliques soûls.

Wilchard était assis, seul, sur une petite table ébréchée, ses lunettes posées sur son nez. Un gong sonore résonna à ses oreilles, suivi d’un autre, puis encore d’un, et ce fut avec une impatience mal contenue qu’il compta les douze premiers coups de minuit. Avec un soupir de lassitude, Wilchard relut une dernière fois la petite lettre jaunie, envahie de fautes d’orthographe et qu’il tenait entre ses doigts tremblants. Comme pour ponctuer sa lecture, la musique changea brutalement dans le pub : les instruments entonnèrent un morceau qu’il reconnut immédiatement – Greensleeves, l’un de ses favoris. Et puis, Elle apparut. Vêtue d’une longue robe noire et rouge à dentelles, très décolletée et serrée au niveau de la poitrine, Elaona esquissa les premiers pas de sa danse gracieuse.

Toulouse-Lautrec, "Marcelle Lender dansant ..."

Wilchard se surprit à admirer les sublimes cheveux dorés de la jeune fille, attachés par un ruban pourpre sur son crâne, afin de mettre en valeur ses sublimes boucles blondes.

Le vieillard ne pouvait pas distinguer ses traits, mais la certitude qu’ils étaient parfaits lui fit instantanément oublier la lettre anonyme. Elaona effectua un tour sur elle-même, dévoilant ses mollets blancs et fins, terminés par de minuscules bottines noires. Wilchard ne put détacher son regard d’elle de toute la dance. Puis les violons jouèrent la dernière note, et, tandis qu’elle effectuait un salut au public en s’inclinant gracieusement, les buveurs applaudirent en hurlant leur enthousiasme.

Elaona ne chercha même pas à retenir les larmes qui lui trempèrent les joues. Son regard balaya l’assemblée, et s’arrêta sur un homme, qui, de par son âge, se démarquait singulièrement des autres. Elaona fronça les sourcils. Il était certes vieux, mais ce qui attira vraiment son attention, ce furent sa redingote et son haut-de-forme qui attestaient de son statut d’aristocrate. Se pouvait-il que… ?

Wilchard la vit descendre de l’estrade d’un pas harmonieux, et se diriger dans sa direction. Le vieillard se retourna, afin d’apercevoir quel galant avait bien pu la séduire. Il n’y avait personne derrière lui.

Ce fut le souffle coupé qu’il la vit s’asseoir à sa table, en face de lui. Elle plongea ses yeux bleus profonds dans les siens. Des cernes sous ses paupières confirmèrent à Wilchard son impression de l’avoir vue pleurer sur scène.

– Bonsoir, Monsieur, lança Elaona

Sa voix était douce mais ferme, empreinte d’une pointe de chagrin.

– Bonsoir, demoiselle.

Elle le détailla un peu plus. Oui, il était assez âgé, mais ses traits ridés lui donnaient une impression de gentillesse incroyable.

De son côté, il ne pouvait se lasser de son si beau regard, et ce fut sans réflexion qu’il marmonna tout bas des paroles inintelligibles.

Elle le fixa, surprise :

– Comment, monsieur ?

Wilchard contempla la stupéfaction de la jeune fille avec délices. Son étonnement lui avait creusé un pli au niveau de la lèvre inférieure, et ses sourcils s’étaient arqués, faisant montre de sa curiosité. Tout chez elle lui inspirait sa jeunesse perdue, et ce fut cela qui le séduisit véritablement.

Elaona, elle, ne s’étonna pas de l’absence de réponse de son interlocuteur. Il était mystérieux, certainement cultivé, et cela lui plaisait, lui donnait un sentiment de réconfort qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps.

Sa façon de la fixer avec tant d’intensité lui apprit qu’il devait éprouver un sentiment tout aussi fort.

Elle se décida enfin à demander, de sa voix si belle mais si sèche :

– Dois-je déduire de votre présence ici que vous avez reçu ma lettre, M. de Wilchard ?

LEONARD Floriane (3ème  – 2008/2009)

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