Convolvulacée

Il y a quelques années de cela, au cours d’un tragique accident de voiture, en rentrant de son travail, la nuit, un jeune homme,Emy, âgé d’une trentaine d’années, avait perdu l’usage de ses membres. Il venait tout juste de se marier. Sa femme, en apprenant la terrible nouvelle, s’effondra en larmes. Mais bien des mois avaient passé et une nouvelle vie renaissait. Les vacances d’été approchaient et le couple, habitant au nord de la France, décida de partir quelques jours dans le centre de l’hexagone. Ils avaient loué une petite maison à la campagne.

Liseron

Le matin du premier jour, à l’aube, le paraplégique, ne sachant que faire, feuilleta un magasine, qu’il avait apporté, tout en prenant son petit déjeuner avec son épouse. Tout à coup, tournant la page de son catalogue, son regard se posa sur un mot tout à fait étrange et dont il ne connaissait pas la signification car il n’en avait jamais entendu parler : « la convolvulacée ». Figé, pendant quinze secondes, il resta étale, sans rien dire, l’esprit vidé. Sa femme, n’y prenant garde, monta à l’étage pour se laver et s’habiller. Ce mot si raffiné et rare l’avait ensorcelé. Il aimait répéter ses syllabes, si douces. Il n’avait aucun dictionnaire à porter de mains et ne pouvait donc chercher son sens. Emy fouilla dans sa mémoire, pour voir si, vraiment il n’en avait jamais entendu parler. Ce mot l’obsédait, il résonnait dans sa tête, tel l’écho d’une cloche. Le jeune homme cherchait toute la journée et passait des nuits blanches à essayer de trouver son étymologie. Le seul temps qu’il passait à dormir était pour rêver de ce mot si long et aux syllabes si légères.

Sa femme ayant remarqué son étrange comportement se plaignait de ne plus avoir la tendresse qu’elle méritait. Le dernier jour des vacances arrivait et la jeune femme ne pouvait que constater l’état de son mari qui empirait. Celui-ci était devenu fou. Il restait enfermé toute la journée sans prendre l’air ni voir le jour. Son caractère était devenu morose et acariâtre même s’il ne parlait plus beaucoup. Le quatrième jour, il avait passé sa matinée à hocher la tête de droite à gauche répétant sans cesse ces cinq syllabes : « con-vol-vu-la-cée ». Sa femme, apeurée, effrayée, due à son grand désarroi quitter son mari. Durant des jours, des nuits et des mois entiers, elle avait consacré son temps à s’occuper de son mari et, depuis un certain temps, elle était fatiguée et épuisée. Elle n’avait plus de temps pour elle. Mais, la véritable raison était qu’elle redoutait le pire car son mari avait perdu la tête : il était devenu fou. Son épouse lui expliqua tout cela en essayant de garder son calme. Elle pleurait et lui suppliait qu’il la pardonne. A son grand étonnement, Emy, passif, comme un somnambule, quitta la maison, sans prononcer un seul mot, pris d’une malédiction.

Depuis ce jour, son épouse ne le revit plus. Lui, poursuivait son chemin, dans son fauteuil roulant et arpentait les routes. Puis, ayant parcourut une dizaine de kilomètre seul, il fut obligé de traverser un pré d’herbe haute et sauvage pour rejoindre la route en face de l’endroit où il se trouvait. Arrivé au milieu du champ, il se fit mordre par un serpent. Paralysé, il ne pouvait donc pas bouger. Il sentait quelque chose s’enrouler autour de ses jambes comme des centaines de serpents ondulant qui grimpaient peu à peu. Ses jambes étaient maintenant prisonnières. Le jeune homme baissa les yeux et vit une plante avec une longue tige verte et des fleurs blanches. Cette mauvaise herbe allait maintenant atteindre son cou, quand, soudain, Emy se rendit compte qu’il avait devant ses yeux la signification de son mot mystérieux. Celle- ci lui revint en un éclair : c’était du liseron, mais l’expression plus savante utilisée par les pépiniéristes était le mot convolvulacée, mot qu’il avait aperçu dans son magasine et qui l’avait ensorcelé.

Finalement, il mourut étranglé par la convolvulacée, seul et abandonné, au milieu d’un champ, mais pas si fou que l’on ne pourrait le penser : à la dernière seconde de sa triste et courte vie, par le fruit du hasard, il avait réussi à retrouver la signification du mot qu’il avait tant cherché. Sa femme, quant à elle, mourut de chagrin quelques semaines plus tard.

Lise Assaf

www.galeriedelacoste.com