Il contempla encore une fois son reflet dans le miroir qui lui faisait face et se détourna, daignant adresser un peu de son attention à l’homme qui lui faisait face, et qui ne lui inspirait que du dégoût. Il le détailla longuement et non sans animosité, et se demanda comment l’autre pouvait supporter son examen sans broncher. Il remarqua, avec une pointe de dépit, que l’homme ne baissait pas les yeux ni ne s’agenouillait devant un personnage de son importance, ce qui ne fit que renforcer le mépris, pourtant déjà élevé, qu’il avait pour lui. Il regarda la nuit tomber par la fenêtre qui lui faisait face, et ses yeux firent le tour de la pièce, richement décorée, qui lui servait de salon personnel. L’autre prit soudain la parole.
« – Les raids se sont multipliés ces derniers mois, lança-t-il d’une voix cassante . Et ils ne se limitent plus aux régions frontalières, Monseigneur.
– Que me conseillez-vous de faire ? demanda le roi d’une voix faussement intéressée.
– Pour commencer, je vous suggère d’envoyer là-bas des soldats supplémentaires… » Le monarque cessa très vite de l’écouter et s’absorba dans ses pensées. Il n’avait que faire des recommandations de son général, car il détestait qu’on lui dicte sa conduite, et il n’en faisait qu’à sa tête. Il avait ainsi précipité son royaume dans la misère, dilapidant le trésor. De toute façon, pensa-t-il avec joie, je serais loin demain. Il s’aperçut alors que son général avait fini de parler.
« – C’est un point de vue intéressant. Développez-le, je vous prie.
Le général le regarda sans chercher à dissimuler les sentiments que lui inspirait son monarque et reprit la parole, ayant parfaitement conscience que ce qu’il dirait n’aurait aucun impact sur celui-ci. Comme il le prévoyait, le roi replongea dans ses pensées.
Il réfléchit cette fois-ci à sa rencontre avec l’homme qui lui faisait face. Ils s’étaient trouvés voici déjà dix ans dans la même taverne du port de la ville où le roi avait passé sa jeunesse princière. Il aimait aller dans ce genre d’endroits un peu glauques, afin de contempler la misère de la populace, spectacle qui l’avait toujours amusé. Son futur général était assis seul à une table, et vivait alors dans la misère la plus noire, son passé peu glorieux l’empêchant trouver du travail malgré le fait qu’il était l’un de meilleurs guerriers du pays. Le prince qu’il était alors avait décidé de l’aborder. La première impression qu’il avait eue de cet homme-là lui plaisait beaucoup. Il était sauvage, entêté et continuellement furieux. Le lendemain, il entrait dans l’armée royale et n’avait cessé de monter en rade depuis.
Leurs relations s’étaient tendues peu à peu, et une haine farouche avait fini par les opposer constamment.
Le monarque songea alors à la dernière tâche qu’il lui avait confié : démasquer les complots voulant sa mort, car plus il vieillissait plus il sombrait dans la paranoïa. Il coupa donc son général :
« – Où en êtes-vous de la dernière tâche que je vous avais confiée ?
L’autre parut décontenancé.
-La dernière… Ah oui, bien sûr ! Elle avance, lentement mais sûrement.
-Qu’avez-vous obtenu comme résultats. ? Avez-vous démasqué les chefs d’une quelconque conspiration ?
-À vrai dire, il apparaîtrait qu’il n’y en a qu’une, et bien que d’un nombre réduit, elle fait partie de votre proche entourage et connaît tous vos projets sans la moindre exception.
Le roi peinait à comprendre les sous-entendus des propos de son général. Il reprit donc la parole.
– Vraiment tous mes projets ? Les avez-vous fait arrêter,
– Tous vos projets, même celui de demain », lui répondit-il, omettant de répondre à la seconde question.
Le roi réfléchit longuement et comprit enfin, peut-être grâce au poignard enfoncé dans son ventre, ou alors au sourire satisfait qui était apparu sur les lèvres de son interlocuteur.
Marion Lagarde (3ème – 2008/2009)