Sidney

Sidney était debout, adossée contre l’épais rempart de pierre froide. Sa main délicate était crispée sur le manche en bois d’une longue lance à la pointe effilée. De magnifiques cheveux roux dépassaient de son heaume étincelant, et cascadaient sur ses épaules recouvertes du métal de son armure.

Elle était arrivée la veille à Châteauroux, envoyée par son père pour surveiller l’étrange forteresse, depuis peu sujette à plusieurs phénomènes inexplicables. Les soldats, qui assuraient déjà cette fonction, l’avaient toisée d’un air dédaigneux. Leurs yeux avaient roulé sur ses muscles, semblables à ceux d’un homme, puis, presque à contrecœur, ils avaient abaissé leur arme, et avaient accordé à Sidney le droit de se joindre à eux.

Victor Hugo

La jeune fille ne comprenait pas pourquoi le fait qu’elle manie les armes était aussi mal toléré. Déjà, des centaines d’années auparavant, les spartiates avaient doté leurs rangs de femmes, et c’est sans doute cela qui avait fait leur force. Un peu moins d’un millénaire s’était écoulé depuis la disparition de ce peuple mythique, mais nul n’avait jamais songé à les imiter.

Sidney releva vivement la tête lorsqu’elle entendit un craquement. Ses yeux bleus pétillants balayèrent la forêt alentour, sans que personne ne se manifeste. Prudente, elle encocha une flèche sur son arc, et attendit. La jeune fille poussa un soupir de soulagement lorsqu’une silhouette familière se détacha enfin de la pénombre du bois de Châteauroux.

Ce n’était que Clem, le seul des soldats à lui témoigner un peu de respect. Il lui adressa un bref salut de la tête, puis entra dans la cour de la forteresse.

Sidney songea qu’il n’était pas prudent de laisser le pont-levis ainsi abaissé toute la journée.

Le soleil commençait à décliner. Dans peu de temps, il ferait trop sombre pour que Sidney puisse continuer à assurer la garde seule. Ce fut lorsque la lune commença à briller un peu plus haut dans le ciel, qu’elle commença à s’inquiéter. On aurait dû la remplacer depuis bien longtemps.

Soudain, elle aperçut de gros yeux rouges qui l’observaient avec intérêt.

– Qui va là ? demanda-t-elle d’une voix peu assurée

Il lui sembla entendre un grognement étouffé, puis les globes oculaires injectés de sang disparurent. Sidney sentit un étau glacé se refermer sur son cœur. Que devait-elle faire ? Valait-il mieux attendre la relève ?

Elle décida finalement de réagir. Des brindilles craquèrent sous le métal de ses bottes tandis qu’elle pénétrait dans la forêt. Elle l’avait déjà traversée la veille, pour se rendre au château. Mais, la nuit, ce site revêtait un tout autre aspect : effrayant, obscur, silencieux.

La jeune fille ne voyait pas du tout où elle se dirigeait. Elle trébucha sur une racine et s’effondra sur le sol. Pourtant, ce ne fut ni de la terre, ni des feuilles qu’elle sentit sous ses doigts : c’était petit, mais cela se déplaçait, fuyait. Elle poussa un glapissement de frayeur lorsqu’elle reconnut de minuscules araignées. Elle se releva vivement et s’appuya contre le tronc d’un arbre, qu’elle ne voyait pas, pour reprendre son souffle. Comment allait-elle sortir de là ?

Puis Sidney vit à nouveau les yeux. Beaucoup plus proche, cette fois. Elle sentit une vive douleur à la main droite, avant avoir pu esquisser le moindre mouvement, puis perdit connaissance.

Lorsque la jeune fille s’éveilla, elle était allongée sur un lit confortable. Clem était assis sur une chaise à ses côtés. Il lui sourit, puis expliqua avec douceur qu’il l’avait retrouvée évanoui devant le pont-levis, un peu avant que la nuit ne tombe. Elle lui raconta ce qu’il lui avait semblé voir dans le bois ; il répondit avec douceur que ce n’était sans aucun doute qu’un mauvais rêve.

Ce ne fut que lorsque Clem sortit de la pièce pour laisser Sidney se reposer, qu’elle vit sur sa paume droite une énorme trace de morsure, qu’elle était pourtant certaine de ne pas avoir la veille…

Floriane Léonard (3ème – 2008/2009)

Exposition de la BNF sur les dessins de Victor Hugo