Aurélien

Les élèves de 3ème se sont frottés à un exercice difficile : lire l’incipit d’un roman d’Aragon, Aurélien, et en écrire, en temps limité, une suite cohérente qui intègre 12 mots (imposés!) de la SPM : sibyllin, immarcescible, béotien, ambages, cacochyme, peu ou prou, acmé, coquecigrues, ineffable, callipyge, céruléen.

Le résultat, brillant, montre que ces mots sont devenus familiers…

Le texte du début du roman d’Aragon est en bleu, la suite est écrite par une élève de 3ème : Alix Barret!

La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu’il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n’aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l’avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d’ennui et d’irritation. Il se demanda même pourquoi. C’était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois… Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l’irritait.

Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore :

« Je demeurai longtemps errant dans Césarée … »

En général, les vers, lui… Mais, celui-ci revenait et revenait. Pourquoi? C’est ce qu’il ne s’expliquait pas.

Il se passa plusieurs mois avant qu’il ne la revit. Elle n’avait pas vraiment changé. Ses cheveux étaient plus longs, et ses vêtements mieux choisis. Mais ce n’est pas cela qui retint son attention : ce furent ses yeux, d’un bleu céruléen, grands, ouverts sous l’effet de la joie, qui attirèrent le regard d’Aurélien.

Il la reconnut immédiatement, au milieu de la foule. C’était le plein été, à Paris, le soleil tapait fort, et, malgré le grand chapeau blanc dont elle était coiffée, ses boucles claires brillaient d’une ineffable clarté. Elle devait avoir peu ou prou vingt-cinq ans, à l’acmé de sa vie et, pour la première fois, Aurélien la trouva resplendissante.

Un sourire sibyllin, qu’il n’avait jamais remarqué mais qui ne le surprit pas, éclairait son visage,des fossettes troublantes apparaissaient sur ses immarcescibles joues de porcelaine, des volutes callipyges accompagnaient sa marche. Il se sentit franchement béotien de ne pas avoir remarqué plus tôt son admirable beauté, mais comprit à cet instant ce qui avait tant changé chez elle : Bérénice était cramponnée au bras d’un homme à qui il n’avait pas accordé un regard, obnubilé, obsédé qu’il était par la jeune femme. Elle s’accrochait désespérément à cet homme, avec un regard émerveillé et un bonheur indécent. Aurélien le trouva terriblement cacochyme, à côté d’elle. Dix, quinze ans de plus?

Il ressentit sans ambages une immense jalousie, un envie d’occire ce bellâtre, un remord déjà lancinant : cet homme, lui, n’avait pas attendu la venue des coquecigrues pour séduire Bérénice. Il comprit aussitôt qu’il lui était essentiel, vital même, de la reconquérir. Les vers de Racine résonnèrent dans sa tête, si fort qu’ils lui firent mal au crâne :

« Je demeurai longtemps errant dans Césarée,
Lieux charmants où mon coeur vous avait adorée.
Je vous redemandais à vos tristes Etats ;
Je cherchais en pleurant les traces de vos pas. »