« Mr Mathieu est bien vieux… » : c’est une phrase que l’on entend souvent, en fin de journée, devant les marches du collège. Une formule collective, mélange de nostalgie, de crainte et de respect, mais aussi d’impatience. Monsieur Mathieu a vieilli : si ses cours restent toujours aussi passionnantes, il ne parvient plus à les terminer avant la sonnerie de 17 heures, qu’il ne semble plus entendre d’ailleurs…
Alors les élèves font eux aussi semblant de ne pas avoir entendu le bruit strident annonçant la fin de leurs cours : « La cloche, c’est moi! » leur a-t-il dit souvent! Ils attendent, pendus aux lèvres hésitantes et ralenties du vieux professeur, que le texte soit entièrement parcouru, les figures de style toutes repérées, les tournures de style devinées. Ce parcours prend plus de temps, un peu comme le trajet quotidien vers la boulangerie, qui semble plus long à chacun au fil des ans.
Il faut aussi compter avec les petites siestes du vieux pédagogue, toujours brèves, mais imprévisibles : quelques élèves en profitent bien pour aller aux toilettes, pour consulter leurs messages, ou passer quelques coups de fil, mais cela n’arrange pas les affaires de la pendule : le cours de 17 h finit le plus souvent vers 17 h 30, parfois 18 h…
Il y a surtout les parents, qui attendent devant le collège : certains ont été eux-mêmes les élèves de Mr Mathieu; d’autres ont un frère ou un cousin qui racontent, à chaque repas de famille, les merveilleux souvenirs du cours de Mr Mathieu; les autres finissent par regretter de ne pas avoir usé leurs fonds de culotte sur ces bancs glorieux; tous ont menacé leurs enfants des pires représailles si un seul osait quitter le cours avant que Mr Mathieu n’ait donné le signal!
Alors, ils attendent, tous les mardis et les jeudis, à 17 h, car ils sont à l’heure : on ne sait jamais, avec Mr Mathieu, il peut parfois encore faire des étincelles et finir à l’heure! Mais, le plus souvent, c’est parti pour une longue attente.
Au début, devant les marches du collège, on se racontait les histoires et légendes du cours de Mr Mathieu (car il y a aussi des légendes : n’écoutez pas ceux qui vous diront qu’il n’a pas de cœur! Il a un cœur, tous ceux qui ont été ses élèves le savent, un cœur en plastique, qui est posé sous la fenêtre…).
Puis, les mois passant, on a apporté des chaises et on s’est assis en cercle. Le premier a raconté un conte de l’attente ne savait pas qu’il venait de créer une nouvelle tradition : « Puisqu’on attend, dit-il ce jour-là, je vais vous raconter pourquoi j’ai longtemps cru que mon père était Dieu… ». Son récit extraordinaire laissa la place à une autre histoire : « Je vous ai raconté l’histoire de mon perroquet? Non?… ».
L’habitude fut prise de se raconter des histoires vécues, intimes et incroyables, des faits divers étonnants, des rencontres inoubliables, des oublis essentiels, de petits mensonges courageux, des retrouvailles impossibles ou des départs espérés : les contes de l’attente durent depuis, devant les marches du collège.
Il n’est pas rare que les élèves, sortants très en retard du cours de Mr Mathieu, s’assoient à leur tour en cercle autour de leurs patients parents, pour entendre la fin d’une histoire partagée.
Sur le modèle de Maupassant et de ses Contes de la bécasse, vous trouverez ici régulièrement les récits de nos Contes de l’attente…
Philippe MATHIEU