« Ah, de mon temps, personne ne venait me chercher à la sortie de l’école. Je dis école, car jusqu’au certificat d’études, nous n’employions pas le mot cours. »
Le certificat d’études, un diplôme bien loin du vocabulaire des autres personnes assises sur les marches du collège, venues attendre leurs enfants : ils écoutaient cette truculente vieille dame de bientôt quatre-vingt-seize ans dans un silence respectueux.
« Si vous saviez ce qui m’est d’ailleurs arrivé le jour où j’ai passé cet examen! »
Personne ne posa la question, mais tous étaient clairement dans l’attente de cette histoire : la grand-mère se mît à raconter:
« C’était en juin 1930. Ma sœur, deux de mes frères et moi-même étions sur le chemin de l’école. Nous portions nos besaces et nos gamelles. En tant qu’aînée, je portais bien sûr celles de Marcel, mon petit frère. Titus, notre épagneul, nous accompagnait comme à l’accoutumée.
Soudain, Marcel, que l’école effrayait toujours, se met à claudiquer.
-Avance Marcel, et ne commence pas ta sempiternelle comédie! Aujourd’hui, je passe un examen très important pour mon avenir.
-Oui, mais j’ai très mal à mon pied gauche, gémit-il.
-Dépêche-toi et cesse tes jérémiades, lui répond Maria. Notre soeur ne doit absolument pas être en retard.
Pour une fois que ma cadette prenait mon parti! Henri, quant à lui, ne pipait mot. Son sourire en coin en disait long: j’allais m’agacer, notre petit gredin de frère allait pleurer et je finirais par le porter jusqu’à l’école! C’était sans compter que, ce jour-là, je ne voulais pas froisser ma jolie robe.
Et voilà que Marcel s’arrête, s’assoit à même le sol et décrète qu’il n’avancera plus. J’examine son pied: ce gros bêta portait deux chaussures du même pied et deux de ses orteils étaient en sang. Que faire! J’allais être en retard. Henri et Maria n’avaient aucune intention de me venir en aide! Savez-vous ce que j’ai fait? J’ai donné mes socques à Marcel, j’ai pris ses sabots et j’ai mené tambour battant tout ce petit monde à l’école. »
Comme l’auditoire souriait, la grand-mère ajouta:
« Bien entendue, j’ai passé mon certificat d’études avec succès, même si j’étais quelque peu instable sur mes sabots. Et, pendant longtemps, cette histoire a donné matière à de gentilles moqueries: d’aucuns prétendent encore que c’est grâce à des sabots trop petits que leur aînée est devenue une grande maîtresse d’école. »
Clara Callès (4ème)