Pendant que nous nous amusions dans le merveilleux cours de français, à l’extérieur il faisait une chaleur torride. Pas une voiture, pas une personne dans les rues, sauf devant le collège Cabanis : une foule de personnes rassemblées attendaient leurs enfants. En effet, il était de coutume que monsieur Mathieu, professeur de français depuis un demi-siècle, garde ses élèves pendant deux ou trois heures de plus, pour leur enseigner les secrets de la langue française. Les parents avaient pris l’habitude de s’installer au bas des marches pour de longues conversations pendant lesquelles chacun pouvait conter des histoires de l’enfance, des souvenirs marquants. Dans le lot, il y avait la famille Plas, ma famille… Mon père dit aux autres parents, qui s’impatientaient un peu ce jour-là :
– Je préfère que nos enfants passent du temps en cours plutôt qu’à traîner en ville.
– C’est vrai, dit une maman, au moins ils apprennent la littérature et découvrent les vertus de la bonne conduite.
Mon père sourit :
– Heureusement que mon fils ne sait pas ce que j’ai fait, moi, lorsque j’étais petit, en guise de bonne conduite!
Devinant que l’amorce avait atteint son but, il s’installa à la place du conteur :
– Je vais vous raconter l’histoire de l’église.
– Celle-là, tu ne me l’as jamais racontée, mais tu as fait tellement de bêtises, que je ne m’en souviens peut-être pas, dit madame Plas, d’un air surpris.
– Ah bon ? Tu es sûre ? Pourtant je crois que c’est la pire.
– Oh, si ton fils connaissait toutes les bêtises que tu as faites…
– Ses oreilles sont encore occupées pour un moment par les longues phrases de monsieur Mathieu : je vais pouvoir vous raconter la petite histoire de l’église.
« Cela se passe en aout 1972 dans le village d’Ayen. J’avais alors dix ans. C’était un petit bourg paisible de deux cents habitants. Il y avait une boucherie, une épicerie, une gendarmerie et un centre de secours. Le centre économique du village était l’usine qui se trouvait en face de la fontaine, il y avait environ cent ouvriers et le patron. J’avais fait un pari, avec un copain, qui consistait à faire du vélo dans l’église. Un après midi, j’ai enfourché mon petit vélo blanc et j’ai foncé à l’église. Mon copain me suivait de près. Par chance, le père Jean-Baptiste était parti faire la sieste au presbytère, une immense maison à proximité de l’église.
En ce temps-là, mes parents tenaient une petite boucherie alimentée par les producteurs du coin. Ma mère passait son temps libre à lire du Zola ou du Balzac, ou à discuter sur le marché avec ses amies, et tout son temps de travail à faire les papiers de la boucherie et des impôts, à fixer les prix et à vendre la viande. Mon père était un homme haut en couleurs : il avait une forte personnalité et s’était imposé comme un des hommes forts du village. Quand il ne coupait pas la viande, il était peintre à ses heures : il créait ses tableaux pour les fêtes de Noël ou de Pâques, il les faisait sur la vitrine ou sur le papier qui servait à envelopper la viande. Il en peignait également pour les grandes occasions, à la caserne des pompiers. Il passait du temps à occuper son poste de lieutenant chez les pompiers volontaires. Ou bien il partait à la chasse, avec des amis.
Donc, revenons à mon pari. Je gravis les marches avec mon vélo; mon copain, le lâche, était resté derrière. Une fois en haut, je montai sur mon vélo et commençai à pédaler dans l’église. J’avais en plus endossé ma tenue de cow-boy, pour me faire un peu plus remarquer. Le chapeau du déguisement glissa sur mes yeux une seconde, je ne vis pas le banc qui se trouvait devant moi et je fonçai dedans. Le choc fit tomber la vierge qui était posée sur un piédestal. Le curé, alerté par le bruit, accourut du presbytère et me vit par terre. Je me relevai plus vite que l’éclair, de peur de me faire corriger, et je pris mon vélo pour m’enfuir. Mais, comme un idiot je ne vis pas les marches du parvis de l’église et je fis une cascade jusqu’en bas des escaliers. Pour tout mon malheur, mon père sortait tout juste du restaurant où il avait mangé avec ses amis une escalope qu’il avait lui-même fournie.
Le curé lui expliqua en détail les dégâts que j’avais causés. Mon père me dit : «Puisque tu veux te faire remarquer, je peux te garantir que l’on va te voir. Et puisque tu aimes être à l’église en costume, on va t’en fournir un !» Mon père me prit par le bras et m’attacha à la fontaine du village devant la sortie de l’usine. Les ouvriers passaient par dizaines, cela n’en finissait pas. Et, en plus, ils me questionnaient. Ma mère eut tout de même pitié de moi et vint me détacher. Depuis ce jour, je fus condamné à être enfant de choeur tous les dimanches matin, avec monsieur le curé du petit village tranquille d’Ayen.
Mais j’avais gagné mon pari! «
-Et voila toute l’histoire.
– Effectivement, heureusement que ton fils ne le sait pas, il serait bien tenté de te prendre pour modèle à la collégiale Saint-Martin.
– Laissons faire l’avenir… tiens, les voilà qui sortent, une heure de retard seulement, ça s’améliore …
Hugo PLAS (4ème)