Depuis la rentrée, j’avais l’habitude d’attendre Thibault, tous les vendredis, à sept heures, devant le collège. Sa dernière heure de cours, en Français avec Mr Mathieu, j’étais certaine de patienter au moins une heure avant qu’il ne sorte. Cela me réjouissait, car je pouvais ainsi discuter avec les autres mamans que je connaissais très bien.
Nous nous échangions nos dernières recettes testées, nous commentions nos cours de Zumba… Mais, ce qui nous préoccupait surtout depuis cette rentrée de quatrième, c’était nos chers ados, leur comportement, leurs petites crises, leurs exigences…
En ce vendredi 2 décembre, la conversation tournait autour des cadeaux de Noël :
«- Vous ne devinerez jamais ce que Paul nous a demandé pour Noël, nous dit Brigitte.
-Je suppose qu’il veut la dernière console qui vient de sortir, lui qui adore jouer aux jeux vidéo, répliqua Isabelle, la maman de Thomas.
-Non, dit Brigitte, il nous a demandé un quad ! Quelle idée ! C’est un engin bien dangereux et inutile pour un garçon de son âge.
-Thibault, lui, voudrait l’iPhone 5, mais il ne le mérite pas trop, son comportement n’a pas été exemplaire, et c’est bien trop cher !
-Les enfants sont difficiles à contenter de nos jours, nous avions des envies plus simples, rétorqua Isabelle.
-C’est vrai, moi, j’adorais les poupées, j’en demandais une à chaque Noël, jusqu’à mes dix ans : la dernière que j’ai reçue n’était pas tout à fait comme les autres… »
Je leur racontais alors ce Noël si particulier de 1981. J’habitais à Fumay, dans les Ardennes, avec ma famille. Il neigeait en abondance depuis début décembre, tout était blanc, les rues et les maisons avaient revêtu leurs avis de Noël. Le 25 décembre arrive enfin, et je me retrouve avec mon frère et mes soeurs en train d’ouvrir les cadeaux devant le sapin. J’étais excitée à l’idée de découvrir ma nouvelle poupée. J’ouvris mon paquet et découvris une poupée d’environ quarante centimètres. Elle avait des cheveux longs très noirs, les yeux verts mystérieux, comme ceux de machette Nanette. Son teint était aussi blanc que la neige au-dehors, et elle était vêtue d’une salopette noire. Dès que je la pris dans mes bras, je ressentis des frissons. Je vis que Nanette avait ses poils tout hérissés : elle la regardait d’un air sombre et lui donna un coup de patte. Je blottis alors ma poupée contre moi et sentit qu’elle était très froide.
Le soir venu, je la déposais soigneusement dans mon berceau de poupées, avec les autres, et la recouvris d’une petite couverture. Pendant la nuit j’entendis des petits rires moqueurs venant du berceau. Je me levai et crus voir ma poupée sourire d’un air maléfique. Je m’aperçus également que la couverture avait été tirée. Cette poupée avait-elle des pouvoirs ? Nanette était-elle passée par là ? Je ne la pourtant pas dans ma chambre et la porte était fermée.
Les jours suivants, dès que je jouais avec elle, je me sentais mal à l’aise. J’éprouvais presque un sentiment de peur à rester seule avec ma poupée à qui je n’avais d’ailleurs pas encore donné de prénom. Nanette restait toujours avec moi : j’avais l’impression qu’elle surveillait cette poupée un peu étrange.
Le matin du 31 décembre, je vis que ma poupée avait disparu du berceau; je la cherchais partout dans la maison, mais ne la trouvais pas. Je décidai alors d’aller jouer dehors. C’est là que je vis des traces, dans la neige, qui semblait être des petits pas je les suivis jusqu’au fond du jardin, mais ne trouvai rien. Étaient-ce les pas de ma poupée ou les pattes de Nanette ? Bien que triste, je me sentis soulagée de sa disparition. Au moment de rentrer j’aperçus Nanette qui revenait du fond du jardin : un peu soulagée, je me dis j’étais débarrassé de cette mystérieuse poupée…
Dix ans plus tard, alors que je rentrais de Reims où je faisais mes études, mes parents m’apprirent que Nanette était morte. Il l’avait enterrée au fond du jardin et, en creusant, à l’endroit exact où il avait choisi d’inhumer notre chatte, mon père avait retrouvé cette fameuse poupée, intacte, me dit-il. Bizarrement, il l’avait laissée dans le trou, se contentant d’y placer Nanette, qui pourrait continuer de surveiller cette étrange poupée…
«-Quelle histoire ! me dit Brigitte. Cela a de quoi faire passer l’envie d’avoir des poupées !
-Tiens voilà mon garçon, intervint Isabelle.
-Vite, vite maman interpella Thibault, je vais encore être en retard pour mon cours de tennis. C’est toujours la même chose, avec M. Mathieu : il parle, il parle, il parle… et ne se rend jamais compte de l’heure ! »
Thibault OLENDER (4ème)