Noir uni

Les parents des élèves de 4ème 5 étaient confortablement installés sur leurs transats, devant l’entrée du collège : ils attendaient leurs adolescents qui sortaient systématiquement en retard du cours de français. À force, les parents s’étaient habitués à cette attente, et avaient pris l’habitude de  pique-niquer tous ensemble, devant l’entrée. Les yeux étonnés des parents d’élèves des autres classes de les empêchait nullement de se raconter des histoires, plus drôles les unes que les autres. Mais une histoire, contée par mon père, un peu plus mystérieuse, vint, ce jour-là, ajouter un piment particulier à la scène. Les autres parents laissèrent tomber leurs sandwiches pour écouter encore plus attentivement ce curieux récit.

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« Au cours de mon enfance, j’ai connu une poule extraordinaire qui avait un lien avec ma grand-mère. Cette poule avait de longues et belles plumes noires, d’un noir parfait, profond. Ma grand-mère l’avait trouvée, un jour, sur le bord de la route. Elle fut attirée par ces plumes, sombres comme l’ébène, et douces comme la soie. Les rayons du soleil faisaient scintiller ses plumes comme des cristaux; le souffle du vent faisait virevolter ses plumes en un spectacle de dentelles noires;  la pluie tombait sur elle et l’eau glissait, sur ses plumes, comme un petit ruisseau. Cet animal était un trésor du ciel, tellement beau, tellement gracieux.Cette poule avait la particularité de ne pondre que des œufs doubles. Lorsque ma grand-mère la laisser couver, ses poussins étaient noirs eux aussi. Cette poule, je l’adorais vraiment : je la prenais dans mes bras, je la faisais courir, jouer avec ces poussins. Personne ne pouvait ignorer un détail marquant : ma grand-mère, depuis toute petite, portait des vêtements noirs. C’était sa couleur favorite. Elle trouvait que le noir était mystérieux. Cette couleur réunissait la poule et ma grand-mère, leurs deux vies colorées en noir.
La vie s’écoulait alors tranquillement, quand, un jour, ma grand-mère tomba gravement malade.
Quelques jours plus tard, alors que la poule noire pondait un œuf, elle s’effondra, morte : on apprit, par la suite, qu’elle essayait de pondre un œuf triple, si gros qu’elle n’avait pas pu survivre à cet effort pour l’évacuer. Dans le même temps, ma grand-mère, qui était de plus en plus faible, s’éteignit tranquillement : elle était morte,  elle aussi. Le même jour, ces deux vies s’étaient envolées : je suis persuadé, encore aujourd’hui, qu’elles étaient liées par une force presque surnaturelle »

Mon père demeura silencieux, perdu dans ses souvenirs : aucun des parents ne parla, tous restaient émus par cet étrange récit. Puis les élèves sortirent enfin du cours de Français…

Célia CHABASSIER (4ème)