De l’arbre où j’étais perchée, j’avais une vue paisible sur la forteresse où régnait mon père, surveillé par son protecteur au plumage plus sombre que la faucheuse. Je pouvais le soir rentrer chez moi le cœur léger, sachant qu’il serait en compagnie de son fidèle ami, le corbeau. J’ai toujours aimé la tranquillité des cimetières.
J’aimais regarder les gens déposer des bouquets sur les tombes de leurs proches, souvent en s’arrêtant sur un banc pour pleurer, en toute sérénité. De temps à autre, j’assistais à des enterrements, je découvrais les futurs amis qui allaient tenir compagnie à mon père. Je les enviais, aussi. Être toujours avec lui, m’avait toujours fait rêver, mais je savais qu’il fallait mourir pour cela, et mon père n’avait qu’un seul souhait : que je profite de la vie.
Aujourd’hui, bien des années ont passé, et je sais que je vais bientôt le rejoindre car la maladie m’a ajouté à sa longue liste des gens sur le départ. Mais sans aucun regret, avec une vie bien remplie je partirai en paix rejoindre l’être qui comptait tant à mes yeux. Je ferai mes adieux à ce monde et à la petite famille que je me suis construite, au fil des années, mais je vais enfin pouvoir réaliser ce rêve que j’ai fait tant de fois, dans le passé. Mon métier m’aura permis de prendre soin de mes futurs compagnons, de les accompagner dans le monde qui les attendent, et que je vais bientôt rejoindre. Cette carrière, à qui j’aurais consacré tant d’années de ma vie, m’a comblé : elle m’a permis de passer voir mon père, très régulièrement, car avec un autre travail et mes enfants, je n’aurais jamais pu revenir le voir. Croque-mort : drôle de nom pour un drôle de métier, mais, quand j’accompagne au cimetière les dépouilles de mes clients, je garde toujours un moment pour me recueillir sur la tombe de mon père.
Lorsque j’étais enfant, avant que mon père ne meure, je m’imaginais que tout le monde était immortel, jusqu’à ce terrible accident : j’y ai perdu une partie de mon cœur. Mais avec l’âge, j’ai très vite compris que le temps n’était qu’un cadeau fragile, qu’il fallait en profiter en faisant des choses qu’on aime, avec ceux qu’on aime, car, au bout du compte, on finit tous par disparaître, définitivement. C’est pour cela que, durant toutes ces années, je me suis dévouée à la cause des morts en prenant soin d’eux : quand ce sera mon tour, j’espère que quelqu’un prendra soin de moi, comme j’ai pris soin des autres, avant de te rejoindre.
Louna FRANCOIS DYLLIS (3ème)