Cela se passait dans les années 80, dans une petite maison au-dessus d’un petit village que j’habitais depuis peu : j’étais encore un jeune homme. Ma maison était faite avec un crépi d’un mélange de beige et de jaune, et des grosses pierres d’une même couleur formaient ses angles. Chaque matin le coq chantait et chaque matin je me réveillais grâce à ce chant, qui apportait tant de chaleur au fond de mon cœur, car, pour moi, il respirait la vie et la liberté. Je prenais alors un bon café bien chaud et une bonne douche. J’allais travailler dans mon potager, je m’occupais de mes poules, je réparais une clôture, bref, je trouvais toujours une occupation extérieure, quelle qu’elle soit.
Au fond de mon pré, il y avait une écurie, en sale état : en y entrant, on tentait d’échapper à une centaine de toiles d’araignée, il y avait des vieux emballages plastique dans chaque coin, des branches, des seaux de toutes les tailles et de toutes les couleurs, posés au sol, pour des fuites d’eau de toutes sortes. Un jour, juste après avoir fait la récolte des petits pois, je pris la décision de la remettre en état. J’y consacrai des jours entiers, pendant des semaines, des mois. Mon travail acharné paya : l’écurie était étincelante. J’avais même reconstruit une mangeoire en bois clair, extrêmement difficile à poncer, qui ne servait pourtant à rien, car je n’avais pas d’animaux, mais je trouvais cela très beau.
Quelques semaines plus tard, un ami d’enfance, Léo, vint me rendre visite et m’annonça son déménagement : je réalisai pour la première fois, réellement, que nous n’étions plus des enfants sur le banc de l’école ! Je le regardai avec un œil nouveau, et déjà triste de le perdre : il était grand, si grand que je devais lever ma tête pour pouvoir lui parler, puis il s’était aminci (il était un peu enveloppé, petit…); ses cheveux formaient de larges boucles sombres; son nez était long et plat; sa bouche était fine et ses yeux étaient noirs, d’un noir pur, foncé et envoûtant. Il semblait surtout très ennuyé, ne sachant quoi faire de son petit poulain, un poulain marron, doux et soyeux, qu’il avait acquis quelques semaines avant d’apprendre sa mutation. Je lui proposai alors de l’accueillir dans ma nouvelle écurie, flambant neuve, riant avec lui de cette étrange coïncidence entre son départ et mes travaux de rénovation du bâtiment. C’est comme ça que, du jour au lendemain, un magnifique poulain m’avait rejoint.
Environ deux jours après cette merveilleuse arrivée, j’avais découvert que mon petit poulain était blessé derrière son genou. Je ne m’étais pas rendu compte d’un quelconque accident, et, malheureusement, cette blessure était déjà bien infectée. Je passais mes jours à tenter de le soigner : sans résultat. Plus les jours passaient plus je m’attachais à lui, plus je voyais qu’il souffrait. Désormais, il passait ses journées allongé sur la paille de son box. Un matin, alors que j’allais le nourrir, en ouvrant la porte de l’écurie où j’avais gravé « petit poulain », je le trouvai allongé sur la paille comme d’habitude, mais, cette fois, ses petites narines ne bougeaient plus : il était mort. La paille qui se trouvait autour de son genou était devenue rouge sang. Je dus alors le sortir et le traîner jusqu’à la benne de mon tracteur.
Les jours qui ont suivi cette tragédie furent horribles. Des jours entiers dans le noir, à me remettre en question, à me faire des tas de reproches. Je me sentais tellement responsable que le coq avait beau chanter, chaque matin, je ne me levais jamais, sauf parfois, pour essayer d’écrire à mon ami d’enfance pour lui annoncer la perte du poulain. Jamais je ne pus finir cette lettre.
Une nuit, la tempête fit rage à l’extérieur : on aurait dit qu’elle se vengeait de cette mort injuste, qu’elle voulait tout arracher, tout emporter. Le matin, au chant du coq, je sortis pour voir les dégâts : ce n’était plus de la terre dure et sèche qui formait mon pré, mais de la boue extrêmement liquide. Le potager était inondé, les arbres avaient perdu moult branches et feuilles, mais mon écurie semblait intacte. Alors que je me dirigeais dans l’écurie, une voiture se gara dans la cour : c’était Léo ! Il était rentré pour quelques jours, et s’inquiétait pour moi. Je n’eus pas le temps de me demander comment lui annoncer la nouvelle de la mort de son poulain : il était déjà près de moi, et poussa la porte de l’écurie…
Devant son air amusé, mais incrédule, je jetai à mon tour un œil dans l’écurie : un magnifique poulain crème se reposait dans la paille, à côté d’une jument superbe. Nous n’eûmes pas le temps de nous poser la moindre question sur ce miracle que Jacky, un voisin qui m’avait aidé à retaper l’écurie, arrivait sur son tracteur : la tempête avait emporté la moitié de sa grange, et il cherchait désespérément une de ses juments qui devait mettre bas sous peu…
Nous nous écartâmes, Léo et moi, pour le laisser entrer dans l’écurie et retrouver sa jument, qui s’était réfugié la dans la nuit, et son petit poulain. Léo fut triste d’apprendre la mort de son poulain, mais Jacky, trop heureux de retrouver sa jument, nous offrit à tous deux ce petit trésor, que nous baptisâmes « deuxième chance » !
Léa Many (4ème)