Cher Madame Constantine Dutrec-Breteuil,
Peut-être connaissez-vous encore mon nom, Marie Lefèvre, peut-être l’avez-vous oublié, peut-être la vie vous en a-t-elle fait brusque rappel il y a peu…
Depuis le collège beaucoup de choses ont changé, alors, moi, votre ancienne élève, je vais vous raconter, vous raconter ce que je fus, ce que j’ai été, mais surtout ce que je suis désormais : Marie Lefèvre, auteure, poète et, maintenant, prix Nobel de littérature. Il y a de ça une trentaine d’année, au collège Georges Cabanis, je fus votre élève.
Je fus cette élève, au début désintéressée et distante, qui n’était toujours qu’à moitié à l’écoute. Cette jeune fille peu sereine qui n’était pas sûre d’elle. Et si j’ai pu devenir, malgré cela, celle que je suis c’est grâce à vous, à vos cours. C’en est un en particulier qui retient mon attention, un mardi, a dix heures. Oui, je m’en souviens encore, ce mardi à dix heures. Ce jour-là, nous, vos élèves, entrions bruyamment dans la salle de classe et vous, professeure, nous fîtes taire d’un haussement de voix, réclamant le « Silence ! ». Nous nous fîmes silencieux. Nous vous écoutions calmement introduire le cours par un bref discours. Nous allions faire le point sur notre récente lecture. Pendant une dizaine de minutes, le cours resta axé seulement sur le livre et le travail à faire. Finalement, votre voix commença à s’éloigner du sujet initial. Vous nous fîtes un discours passionné sur le but du livre et ses valeurs. Vous disiez que « l’écrivain conte le réel par l’imaginaire », que « Le devoir d’un auteur est d’éveiller les cœurs », que « la plume est l’arme du changement ». Ces phrases, et bien d’autres, trouvèrent un écho en moi : c’est ça, oui c’était ça que je voulais faire. Je voulais frapper de mes mots, toucher les cœurs, créer, imaginer, rêver. J’écoutais avec attention votre discours valeureux et ne vis pas passer l’heure. Le lendemain même, un brusque changement d’attitude dévoila une élève active et passionnée. Ce fut un moment marquant qui déclencha un flot de changements, si bien que je m’en souviens tout particulièrement.
Ainsi, grâce à vous, je suis devenue celle que je suis. Grâce à vous j’ai appris à prendre confiance, à grandir, à contrôler, à tenir mes émotions. J’ai appris à aimer écrire, à aimer relater. J’ai éveillé des cœurs de pierre, fait fondre des cœurs de glace. J’ai créé le rêve, appris l’amour aux vrais souverains de la terre. Et partout on m’a lu, et partout on a entendu ma voix, et partout transmis mes valeurs. J’ai fait preuve de hardiesse, de courage, je me suis faite valeureuse à la recherche d’un idéal. J’ai décrit les travers de l’homme, et ses beautés paradoxales. J’ai poursuivi mes idéaux. J’ai raconté les amours les plus purs, relaté les plus monstrueuses natures. Je suis devenue cette femme forte de valeurs et d’idéaux, mais aussi cette femme qui, sachant traiter sérieusement un sujet, n’en reste pas dénuée d’humour et de joie de vivre, n’en reste pas seule et solitaire. Une femme qui reste, malgré tout, humaine. Je partage les joies et les peurs de mes semblables, je partage leurs peines, leurs malheurs, leurs horreurs. Voilà ce que je suis maintenant, mon parcours professionnel, au milieu de tout ça, n’a pas de réelle importance. Non, ce n’est pas vraiment l’important, parce que, récemment, mes efforts ont été récompensés : je suis maintenant prix Nobel de littérature, grâce à toute mon œuvre. Et je vous remercie, vous, professeure, de m’y avoir aidée.
Merci, de la part de tous ceux que vous avez formé à la vie, de tous ceux qui vous avez transmis vos valeurs. Merci du fond de nos cœurs.
Marie Lefèvre