Los Angeles, 19 février 2030,
Cher Monsieur Veyssières,
J’ai laissé passer un peu l’agitation qui a entouré ma nomination aux Grammy Awards à Los Angeles avant de vous écrire cette lettre. Je suppose que vous connaissez : Les Grammy Awards sont des récompenses créées à la fin des années 60, décernées chaque année aux États-Unis par la National Academy of Recording Arts and Sciences afin d’honorer les meilleurs artistes et les meilleurs techniciens dans le domaine de la musique. Le rapport avec moi ? Eh bien, j’en ai reçu deux il y a quelques jours ! Ces récompenses, dans deux des catégories les plus prestigieuses : meilleur album rock de l’année et meilleure chanson, et la Victoire de la musique, en France il y a quelques semaines, sont une consécration pour moi, en tant que compositeur et interprète de chansons de pop rock. Elles ont été le déclencheur de cette lettre : voilà pas mal d’années que je me fais petit à petit un nom dans la musique, en France et à l’étranger et à chaque étape, je me dis que c’est à vous que je le dois : je vous en remercie de tout mon cœur aujourd’hui !
J’étais à l’école primaire Henri Sautet du CP au CM2. J’ai un tas de souvenirs de ces années-là ! Des bons comme des mauvais d’ailleurs…L’année de CP avait commencé par la mort de mon père. Vous étiez là, à votre façon, discret mais toujours présent, par un petit mot gentil, un
sourire, une blague dans le couloir…et surtout avec votre guitare !! Deux à trois fois par jour, vous la sortiez de son étui quand vous considériez qu’on avait assez travaillé et nous avions droit à un petit concert : « La maison bleue » de Maxime Le Forestier, « Mirza » ou « Le Sud » de Nino Ferrer, « Les Champs Elysées » de Joe Dassin, des chansons dont nous avons vite appris les paroles ! On se mettait tous à chanter et, je crois, qu’au fil du temps, pas un de nous ne restait en retrait ! Toutes les classes en profitaient ! Ces mini concerts quotidiens ont sans aucun doute largement influencé ma carrière ! De plus, en CM2, nous avions préparé avec vous, tout au long de l’année, un spectacle de fin d’année avec des chants, de la musique, des danses, des sketches et des lectures mises en scène. On s’était tous investis comme des fous pendant des mois ! C’est sûr, là, vous m’avez transmis ce que veulent dire « persévérance » et « goût de l’effort » ! Avec Zélie, vous nous aviez choisis pour chanter la version française de « A vava inouva » du chanteur kabyle Idir. Vous nous avez accompagnés à la guitare, encouragés du regard et permis de dépasser notre trac. J’y pense à chaque fois que je monte sur scène ! J’ai même encore la photo ! En plus, ce jour-là, le public était au rendez-vous : parents, grands-parents, frères et sœurs, tous les élèves du primaire et de maternelle : ça en faisait du monde ! … Cette journée de fête m’a profondément marqué : devant ce premier vrai public, j’ai ressenti l’une de mes premières joies de chanteur ! Je crois que, pour moi, tout est parti de là.
Bien sûr, j’ai appris d’autres choses à l’école primaire : j’étais un enfant curieux de nature, plutôt flemmard d’accord, mais toujours en alerte par rapport à ce qui pouvait m’intéresser. Dès le début, j’ai bien senti que je préférais certaines matières : l’histoire me passionnait déjà, l’anglais aussi, les histoires que vous nous racontiez et la musique que vous jouiez me permettaient de m’évader. Le collège puis le lycée m’ont fait entrer dans des cases, m’ont jugé à coups de notes… Au fil du temps, j’ai perdu l’envie et me suis laissé persuader que j’étais nul ! Du coup, pas fait d’études, pas suivi le droit chemin…Mais en grandissant, j’ai toujours gardé à l’esprit ce que vous disiez ou faisiez : vous mêliez constamment les différents apprentissages, vous leur donniez du sens et surtout vous arriviez, même si j’étais nul en maths, à me faire me sentir intelligent. En plus de la confiance en soi, vous m’avez aussi transmis le respect et une ouverture d’esprit face aux différentes cultures. Je viens de finir une tournée mondiale avec mes musiciens et à chaque pays traversé, quelque chose m’a fait penser à vous ! Vous m’avez aussi donné envie de lire, d’apprécier les belles choses, d’écouter tout un tas de chanteurs différents, de jouer de la guitare, envie d’écrire mes propres chansons, en français, en anglais, envie de chanter. Plus tard, la chance et certaines rencontres ont facilité mon parcours dans le monde du show business mais cette envie, ce désir de réussir dans ce que j’aimais, cette force, je vous la dois. Vous avez cru en moi ! Votre originalité, votre côté « artiste », votre bienveillance naturelle, tout ça s’est gravé en moi, m’a guidé et soutenu tout au long de mon début de carrière de chanteur de rock.
Dans sa lettre aux instituteurs et institutrices le 15 janvier 1888, Jean Jaurès disait en parlant des enfants : « Leur âme recèle des trésors à fleur de terre ; il suffit de gratter un peu pour les mettre à jour. » Vous avez été, cher Monsieur, ce jardinier qui en gratouillant un peu mon âme a su y faire germer et pousser l’Envie : je suis un jeune chanteur de rock n’roll, aujourd’hui reconnu mondialement, adulé par des foules en délire, croulant sous des prix et des distinctions reconnaissant enfin mon talent ; je reste pour toujours ce petit garçon qui vous doit tellement. Merci !
Léonard « K.C »