Cher Professeur,
C’est avec beaucoup d’émotions que je vous écris cette lettre. Je voudrais partager avec vous ce César des meilleurs costumes, reçu hier soir, par l’Académie des arts et des techniques du cinéma français.
Je devine déjà votre inquiétude à cette déclaration. Il doit vous sembler curieux qu’une de vos anciennes élèves pense particulièrement à vous pour cette récompense, et, sans doute, vous ne voyez pas le rapport entre cette récompense et votre personne. Pas d’inquiétude ! Ma passion de la création des costumes n’a aucun lien avec votre style vestimentaire, sur lequel, d’ailleurs, je n’ai rien à en dire… Petite boutade, pour écarter les soupçons malveillants et pour rendre à cette missive cet élan pudique qui donnent aux joues des collégiennes ce camaïeu rouge si particulier.
Ma vocation est née des petites graines semées par ma grand-mère maternelle, couturière, que j’observais avec beaucoup de curiosités depuis mon plus jeune âge, de mes parents qui m’ont transmis leur passion du spectacle vivant, et de ce monde un peu à part. Mais tout ce terroir humain n’aurait pas suffi à faire de moi ce que je suis aujourd’hui, sans ce jour si particulier, où vous avez posé sur moi ce regard attentionné qui m’a permis, à cet instant précisément, de me sentir unique et libre.
C’était à l’automne de ma quatrième, nous avions étudié en classe le roman de Yasmina Khadra « Les hirondelles de Kaboul », et un débat s’était invité en classe, autour des personnages de l’histoire. Je n’étais pas d’accord, avec la majorité des autres élèves, à propos du caractère du personnage de Zunaira. C’est alors que malgré cette opposition des idées, vous m’avez laissé développer ma pensée et permise de justifier mon jugement. C’est à cet instant précisément que j’ai compris que mes choix pouvaient s’exprimer sans avoir peur du regard d’autrui.
La confiance en soi est un travail de chaque instant. Dès que nous naissons, on nous demande d’avoir de l’audace, de l’ambition, de la volonté, d’être compétitif. Le doute est à bannir pour y parvenir et l’indécision une plaie ! Chacun le sait, avoir confiance en soi est une règle d’or. Cependant, on nous donne peu de moyens pour faire progresser cet état dont l’acquisition est un atout considérable.
Aussi, ce jour là, j’ai senti votre regard bienveillant qui m’encourageait à oser exprimer mon opinion. À 13 ans, du haut de mes 1m60, je faisais bloc, soutenue par vos encouragements, face à la meute adolescente. Je suis sortie de votre salle de cours avec ce sentiment de fierté, envers moi-même, qui m’a fait prendre cinq centimètres dans ma tête : « Je n’étais donc pas un mouton!»
Monsieur Mathieu, c’est du fond du cœur que je tenais à vous remercier pour ce moment éphémère qui a participé à ma progression personnelle, à mon bien-être et à mon avenir.
Bien à vous.
Anouk Machado