Ce jour-là, Sean était encore parti en ville avec Maggie : il l’avait rencontrée à son arrivée à Chicago, quand il ne connaissait encore personne. C’était une jeune fille un peu folle, qui avait toujours de l’argent à dépenser. Cette fois-ci, elle avait traîné Sean dans une boutique des quartiers chics de la ville. Lui, il déambulait dans les rayons; les étiquettes présentaient toutes des prix vertigineux. Alors qu’il regardait des tee-shirts à plus de soixante-dix dollars pièce, Maggie surgit d’on ne sait où, presque hystérique, avec une jupe magnifique à la main où strass et paillettes se mêlaient en un motif qui faisait penser à un dragon rouge, bleu et blanc. Elle lui fit signe de l’attendre, pour qu’elle puisse l’essayer. Il passa devant quelques jeans moulants et délavés aux prix tout aussi exorbitants, avant de repartir en direction des cabines d’essayage.
C’est sur son trajet qu’une veste en cuir brodée d’une rose rouge tomba de derrière un étalage. Le jeune homme se pencha pour la ramasser, mais une autre personne fut plus prompte que lui. Il se redressa quand celle-ci commençait déjà à s’excuser d’une voix douce :
– Je suis vraiment désolée, je suis si maladroite…
Ce n’est qu’en relevant la tête que Sean put voir le visage de la jeune fille qui venait de parler. Il fut ébloui par tant de beauté, elle lui rappelait quelqu’un, il n’aurait pas su dire qui, mais il commençait déjà à perdre ses moyens :
– Vous savez, ça peut arriver à tout le monde, répondit-il maladroitement.
Elle semblait aussi troublée que lui, ce qui le mit en confiance, et le visage familier lui revint : elle avait les mêmes traits, le même teint pâle, la même chevelure rousse que sa sœur, se rappela Sean, sa grande sœur, Liza, restée en Irlande, malgré les temps difficiles qui avaient forcé le reste de sa famille à partir pour les États-Unis.
– On se connaît ? demanda-t-elle d’une voix fine, presque inaudible, en écartant de son visage une mèche de ses sublimes cheveux lisses.
Ses tâches de rousseur éparpillées comme autant d’étoiles dans une nuit d’été semblaient l’empêcher de garder un certain sérieux…
– Pas que je sache… répondit-il doucement.
Elle lui trouvait un quelque chose de différent, il n’avait pas l’air méchant, mais il avait un visage un peu rude dans lequel on pouvait presque lire les souffrances qu’il avait pu endurer dans son enfance. Ses yeux d’un noir profond captivaient toute l’attention de la jeune fille, comme s’ils eussent pu parler. Sean coupa cet instant de silence par une phrase qui manquait peut-être de romantisme :
– Comment vous appelez-vous ?
– Mon nom est Jane, et vous pouvez me tutoyer, lui répondit-elle en remettant la veste sur son avant bras sur lequel s’accumulaient déjà une demi douzaine d’articles. J’allais sortir, vous prendrez bien un coca, ou autre chose, je connais un café sympathique, à l’ambiance très conviviale, dans le coin.
Sean ne pouvait pas refuser. Prendre un soda avec une fille comme elle faisait partie des cinq choses qu’il s’était promis de faire avant de mourir, au même titre qu’acheter un villa en face du Sidney Opera House, ou encore gravir le Mont Everest en short et tee-shirt et sans oxygène. En guise de réponse, il hocha lentement la tête. Jane ne le montrait pas, mais elle n’en était pas moins folle de joie. Elle voyait Sean comme un jeune homme simple, avec ses cheveux en pétard et son mètre soixante-dix. Derrière ses traits un peu carrés, il semblait jovial et drôle. Et elle se trompait rarement.
Elle se retourna pour aller à la caisse, y posa ses articles, pour un prix que Sean préféra oublier. Et ils quittèrent la boutique, se connaissant à peine, parlant déjà de tout et de rien, laissant derrière eux leurs problèmes, leurs soucis, et Maggie!
Gabriel FAHEY (3ème – 2008/2009)