A découvrir : l’excellent travail de Didier-Jean et Zad dans leurs albums jeunesses qui n’intéressent pas que les petits !
Organisée chaque année par la ville de Brive-la-Gaillarde à la Halle Georges Brassens, La foire du livre accueille pendant 3 jours (du 09 au 11 novembre cette année) des auteurs français et étrangers, des libraires, des journaux, des maisons d’édition afin que les visiteurs puissent rencontrer tous les acteurs du monde littéraire. Ateliers, débats et conférences avec des auteurs sont aussi proposés. Les auteurs étaient présents et disponibles pour parler de leurs livres, comme par exemple Didier-Jean et Zad qui ont bien voulu de se prêter au jeu de l’interview.
-(Edmond-Perrier) Depuis quand avez-vous voulu faire des livres, que ce soit de l’illustration ou plus des histoires en tant que telles ? Et aussi qu’est-ce qui vous a motivé pour écrire ?
-(Didier Jean et Zad) Alors, en fait cela fait plus de 25 ans que l’on est auteurs-illustrateurs, et au départ c’est parce que moi [Zad] je voulais être illustratrice. C’est comme ça que ça a commencé. Et j’ai proposé à Didier de m’aider à écrire des histoires pour montrer aux éditeurs ce que j’étais capable de faire. Et parmi les histoires que l’on avait faites plus comme des démos, il se trouve qu’il y a des livres qui ont plu, on a eu aussi des commandes et ainsi on a vraiment commencé à travailler ensemble tous les deux, comme auteur et illustrateur.
– vous êtes deux à travailler sur le même livre, comment faites-vous pour vous organiser dans votre travail ?
-(Didier Jean et Zad) On imagine ensemble une histoire et on s’installe autour d’une table avec un papier, un crayon. Notre travail est très oral parce que finalement, en le disant ou en l’écrivant, on le dit tout de suite à l’autre. C’est vraiment un jeu de ping-pong, on travaille comme ça, à quatre mains. [Didier rajoute : «à deux voix» , en effet c’était l’ancien nom de leur maison d’édition : 2 vives voix] Et sur l’illustration, Didier se mettait plus en retrait parce qu’il ne dessinait pas mais en même temps il m’a toujours beaucoup apporté sur le point de vue, sur le choix de la technique, sur l’harmonie de couleur. Et donc même si c’est moi qui dessine, de même que dans le texte c’est plutôt lui qui va insuffler le style, il y a toujours un regard de l’autre. C’est vraiment une collaboration étroite. Ça peut arriver que Didier écrive tout seul, ça peut arriver que j’illustre toute seule mais de toute façon il y a toujours le regard de l’autre même dans ces cas-là.
– Est-ce que le point de départ de vos histoires est une expérience réelle, ou bien créez-vous celles-ci directement ?
-(Didier Jean et Zad) Chaque livre est une histoire, chaque livre est une rencontre, ça peut être une chanson à la radio, ça peut être quelqu’un avec qui on parle, ça peut être un rêve, ou un cauchemar, un phénomène de société, un sujet dont on nous parle aussi. Ça peut venir aussi d’une demande de gens sur les salons qui nous disent «Ben moi je suis vraiment à la recherche d’un bouquin mais je ne le trouve pas», et on le note quelque part. Et après quand on a envie d’écrire on retombe sur ces papiers, on a plein de petites notes comme ça. La corde sensible c’est un peu notre moteur, c’est ça qui me donne envie d’écrire, c’est l’émotion qui provoque la création, chez nous en tout cas. C’est d’avoir envie de transmettre quelque chose, de faire vibrer la corde sensible.
–Alors pourquoi avoir choisi de faire des livres plutôt destinés aux jeunes, aux enfants ?
-( Zad ) Parce ce que ce sont des livres illustrés et que c’est l’illustration qui nous a amené à la littérature. Je n’imaginais pas écrire au départ, car ce qui m’intéressait c’était dessiner, d’illustrer les mots des autres et c’est la nécessité qui m’a amenée à écrire parce qu’on ne me confiait pas des textes qui m’intéressaient. Il fallait que je montre ce que j’étais capable de faire et puis finalement on y a pris goût, on a eu plaisir à écrire ensemble. Et puis l’album jeunesse c’est tellement riche, j’adorais ça, j’ai toujours aimé ça. À votre âge j’achetais des livres illustrés juste pour le plaisir des illustrations.
–Oui, mais un livre illustré pourrait très bien être destiné aux adultes.
-(Didier Jean et Zad) Mais nous on n’écrit pas que pour les enfants. Il va y avoir une double, voire une triple lecture en fonction de l’âge que l’on va avoir. Et comme éditeur on va avoir la même démarche. Par exemple, Le plus beau jour de ma vie, c’est pour moi un livre qui peut s’adresser à tous les membres de la famille. En tant qu’éditeur, on essaie d’aider à ce que les mots se libèrent pour que les parents et les enfants communiquent plus facilement. Parce que ce n’est pas évident d’être parent, ce n’est pas évident d’être enfant aussi, c’est-à-dire d’exprimer ses émotions, ce que l’on ressent, ce qui ne va pas. Les livres que l’on fait sont là pour essayer de provoquer le dialogue, de débloquer la situation. C’est ce qu’on essaie de faire à notre humble niveau. Par exemple, le livre N’oublie jamais que je t’aime, aujourd’hui j’ai eu au moins deux dames âgées d’environ 60-70 ans qui l’achetaient pour l’offrir à leur fille ou à leur fils qui est âgé de 35 ans. Pour nous ce qui est génial avec l’écriture jeunesse c’est qu’on n’est pas limité à l’écriture pour les enfants parce que c’est aussi les parents qui vont devoir les lire. On essaie de faire des livres qui respectent le médiateur, la personne qui va lire le soir le livre à ses enfants.
–Je voulais revenir sur votre activité d’éditeur, vous avez dit qu’au début vous avez cherché à vous faire éditer.
-(Didier Jean et Zad) On a été édité pendant une quinzaine d’années, par de grosses maisons d’édition comme Milan, Castermann, Nathan, Syros… Et au bout de 15 ans on a commencé à ressentir une difficulté à publier des textes auxquels on tenait. Pour un livre comme N’oublie jamais que je t’aime par exemple, on ne trouvait pas d’éditeur. Et on s’est posé des questions parce qu’on savait que c’était de bons livres mais les éditeurs devenaient très frileux sur ce genre de sujet : ça met en scène une mère qui a oublié tous les mots doux, ce n’est pas très vendeur. Cela faisait peur aux éditeurs. On a donc commencé a accumuler des projets comme Paris-Paradis, Envole-toi (qui est sorti d’abord chez Syros mais qui a eu une vie très courte) et à un moment on s’est jeté à l’eau. On s’est dit qu’il fallait qu’on se lance pour que ces livres existent.
–Vous avez d’abord créé une maison d’édition pour vous éditer, mais à partir de quel moment avez-vous décidé d’éditer d’autres personnes ?
-(Didier Jean et Zad) La première année, on a sorti deux de nos livres. Et la deuxième année on a tout de suite reçu des textes, ensuite ça va très vite. Dès que l’on est une maison d’édition on croule sous les demandes. On était aussi intéressés pour collaborer, c’était l’occasion de travailler avec d’autres auteurs, d’autres illustrateurs. Et puis évidemment sortir des textes dont on n’était pas les auteurs, c’est un autre travail et c’est passionnant.
–Etes-vous seulement deux à travailler sur la maison d’édition ?
-(Didier Jean et Zad) Sur la partie éditoriale on est deux, Vanessa nous a rejoint et elle travaille sur la partie diffusion-distribution depuis septembre, d’ailleurs cela se passe bien, c’est chouette. On a aussi un comité de lecture, composé de 15 personnes, qui nous aide à faire le choix sur les livres à éditer parce que ça serait compliqué pour nous d’être juge et parti. C’est bien d’avoir un regard extérieur. Parfois, on a des coups de cœur pour des textes d’autres auteurs et puis le comité de lecture ne nous suit pas. Ça nous donne du recul.
–Vous faites régulièrement des interventions dans les collèges et dans les écoles primaires, je suppose parce que vous avez envie de parler avec vos lecteurs. Mais est-ce que c’est cette activité de rencontrer des enfants en école primaire qui a pu vous donner envie d’écrire au début ?
-(Didier Jean et Zad) Non pas du tout, par contre on a été animateur en centre de loisir avec les tout-petits en maternelle et moi [Zad] j’ai animé un atelier de peinture pendant dix ans avant de devenir auteur. Ce travail avec les enfants nous a effectivement nourri de manière très claire. Mais rencontrer les enfants dans les écoles n’a commencé que lorsqu’on a été auteur, lorsque l’on a eu des titres publiés.
–C’était ce que vous vouliez faire dès la sortie des études ou cela vous est venu plus tard ?
-(Zad) Non, mais lorsque j’étais au collège en 6ème 5ème j’écrivais des histoires pour les illustrer sans savoir que c’était un métier. Si j’avais su à ce moment-là que j’en ferais mon métier, j’aurais trouvé cela magique. J’adorais ça sauf, qu’à mon époque – on est vieux maintenant – on ne rencontrait pas d’auteur, cela ne se faisait pas. Je ne savais même pas que les auteurs étaient vivants. Quelque part j’ai réalisé un rêve.
Un grand merci à Didier et ZAd pour leur disponibilité !
E.M.