Virgile, Enéide, Chant I, invocation à la Muse :
Arma virumque cano, Troiae qui primus ab oris
Italiam, fato profugus, Lauiniaque venit
litora, multum ille et terris jactatus et alto
vi superum saeuae memorem Junonis ob iram ;
multa quoque et bello passus, dum conderet urbem,
inferretque deos Latio, genus unde Latinum,
Albanique patres, atque altae moenia Romae.
Musa, mihi causas memora, quo numine laeso,
quidve dolens, regina deum tot volvere casus
insignem pietate virum, tot adire labores
impulerit. Tantaene animis caelestibus irae ?
TRADUCTION : « Je chante les combats du héros qui fuit les rivages de Troie et qui, prédestiné, parvint le premier en Italie, aux bords de Lavinium ; il fut longtemps malmené sur terre et sur mer par les dieux tout puissants, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon; la guerre aussi l’éprouva beaucoup, avant de pouvoir fonder sa ville et introduire des dieux au Latium, berceau de la race latine, des Albains nos pères et de Rome aux altières murailles. Muse, rappelle-moi pour quelle cause, quelle offense à sa volonté, quel chagrin la reine des dieux poussa un héros d’une pitié si insigne à traverser tant d’aventures, à affronter tant d’épreuves ? »
Enéide,1er siècle ap. JC, trad, A-M Boxus et J. Poucet
Virgile, Enéide, chant IV, Desespoir et mort de Didon :
(Ici les « J »et les « I » ne sont pas distingués de même que les « V » et les « U »)
Interiora domus inrumpit limina, et altos
conscendit furibunda rogos, ensemque recludit
Dardanium, non hos quaesitum munus in usus.
Hic, postquam Iliacas uestis notumque cubile
conspexit, paulum lacrimis et mente morata,
incubuitque toro, dixitque nouissima uerba :
« Dulces exuuiae, dum fata deusque sinebant,
accipite hanc animam, meque his exsoluite curis.
Vixi, et, quem dederat cursum fortuna, peregi,
et nunc magna mei sub terras ibit imago.
Vrbem praeclaram statui ; mea moenia uidi ;
ulta uirum, poenas inimico a fratre recepi ;
felix, heu nimium felix, si litora tantum
numquam Dardaniae tetigissent nostra carinae ! »
Dixit, et, os impressa toro, « Moriemur inultae,
sed moriamur » ait. « Sic, sic iuuat ire sub umbras :
hauriat hunc oculis ignem crudelis ab alto
Dardanus, et nostrae secum ferat omina mortis. »
Dixerat ; atque illam media inter talia ferro
conlapsam aspiciunt comites, ensemque cruore
spumantem, sparsasque manus.
TRADUCTION :
Elle se rua dans la cour intérieure du palais, monta, égarée, en haut du bûcher et dégaina l’épée du Dardanien, objet qui n’avait pas été requis pour cet usage. Alors, quand elle voit les étoffes d’Ilion et le lit familier, elle s’attarde un peu, absorbée dans ses pleurs et ses pensées ; puis, elle se jette sur la couche et prononce ces ultimes paroles : «Reliques, qui m’étiez douces tant que le destin et la divinité le permettaient, accueillez mon âme et délivrez-moi de mes maux. J’ai vécu, et achevé le parcours que m’a accordé la Fortune ; maintenant une grande image de moi va s’en aller sous la terre. J’ai fondé une cité illustre, j’ai vu mes propres murailles, j’ai vengé mon époux, et obtenu la punition de mon frère, mon ennemi. Que je serais heureuse, trop heureuse hélas, si seulement les navires des Dardanien n’avaient jamais touché nos rivages ! »
Elle dit et, pressant ses lèvres sur le lit : « Nous mourrons invengée » dit-elle, « mais mourons. Oui, c’est ainsi, il me plaît d’aller ainsi chez les ombres : que du large le cruel Dardanien s’emplisse les yeux de ce feu, et qu’il emporte avec lui le présage de ma mort. »
Elle avait parlé, et en plein discours les personnes présentes la voient écroulée sur le fer, l’épée écumante de sang et les mains éclaboussées.
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg/V04-645-664.html